Chronique historique d'André Pelchat
Le chant « Minuit, Chrétiens ! » fait tellement partie de la tradition du temps des fêtes au Québec qu’on est pardonnable d’ignorer que le fait de le chanter à la messe de minuit a déjà pu être un acte controversé.
En fait, au début, c’est la chanson elle-même qui était l’objet d’une controverse. Au point que le Cardinal Rodrigue Villeneuve, archevêque de la province de Québec de 1931 à 1947, recommandait fortement à ses fidèles de ne pas le chanter ! Certains diocèses et paroisses ont obéi, d’autres pas. Le Cardinal emboîtait alors le pas à une campagne menée en France contre « la décadence de la musique religieuse ». L’initiateur en était le comte Vincent d’Indy fondateur de la Schola Scantorum (école de formation des chantres) de Paris. Il avait même traité le « Minuit, Chrétiens ! » de « musique d’ivrogne » !
Les musiciens d’église jugeaient la pièce « théâtrale », de « mauvais goût », « vulgaire ».
Les curés estiment certaines expressions du texte, tel « l’homme dieu » « et de son père arrêter le courroux ». non-conformes à la théologie.
Le chant en question, de plus, a des origines qui, aux yeux des bons Catholiques, ont été longtemps vues comme plus que douteuses.
D’abord le compositeur de la musique, Adolphe Adam (1803-1856) est un musicien de théâtre d’origine juive. Il est l’auteur du ballet Gisele et de plusieurs opéras légers. L’auteur des paroles, Placide Cappeau (1808-1877) est un marchand de vin… franc-maçon notoire, connu dans son village de Roquemaure comme un anticlérical convaincu.
Même si l’usage s’est établi d’identifier la chanson par ses premières paroles, Minuit, Chrétiens !, le titre de l’œuvre produite par les deux compères est Noël. Elle sera chantée pour la première fois par une dame du nom d’Émilie Laurey, le 24 décembre 1847, à l’église paroissiale de Roquemaure.
C’est en 1857, à Paris, qu’Ernest Gagnon, organiste de Québec, l’entend et décide de ramener cet air nouveau au Bas-Canada où la fille du juge René-Édouard Caron, futur lieutenant-gouverneur, le chante à l’église de Sillery l’année suivante.
Le succès est fulgurant au Canada français malgré une controverse qui éclate dès 1859. Ernest Gagnon et un musicien français installé au Canada, nommé Antoine Dessane, s’affrontent par journaux interposés sur les mérites de la nouvelle chanson. Dessane, musicien renommé, déteste cet air qu’il juge vulgaire. En fait, en 1905, Ernest Gagnon se demandera encore si la vogue du Minuit, Chrétiens ! va durer bien longtemps…
Outre les paroles peu conformes à la théologie, d’autres couplets, moins connus, créent un autre genre de malaise. Prenons celui-ci :
« Le Rédempteur a brisé toute entrave
La Terre est libre ou le ciel est ouvert
Il voit un frère ou n’était qu’un esclave.
L’Amour unit ceux qu’enchaînait le fer »
N’oublions pas que la chanson a été créée en décembre 1847, soit deux mois avant la révolution qui renversa pour de bon la monarchie en France et qui suscita d’autres soulèvements dans toute l’Europe. Selon le compositeur Adam, le chant est une « Marseillaise religieuse », soit un chant révolutionnaire ! Le Larousse de la musique de 1957 décrira encore le Minuit Chrétiens ! comme un « poème anticlérical » ! On comprendra le clergé de la Belle Province et d’ailleurs de ne pas avoir été trop enthousiaste…
Il est bon aussi de se rappeler que le Minuit Chrétiens !, associé ici aux ténors de village, avait été chanté pour la première fois, en France et au Québec, par des voix féminines…
Habitant à L’Avenir, près de Drummondville, André Pelchat se joint à l’équipe du Vingt55 pour écrire une chronique historique bi-hebdomadaire.
Le célèbre ténor Enrico Caruso chante le Minuit Chrétiens ! en 1916
Image : Couverture de la partition originale du Minuit, Chrétiens ! source : Wikimedia commons. Fichier du domaine public.
Pour en savoir plus :
Gingras,Claude, Minuit,Chrétiens! Ou l’histoire d’un long ostracisme, La Presse du 20 décembre 2012, A 8