DRUMMONDVILLE
La commission parlementaire sur l’avenir des médias d’information, ainsi que la débâcle récente des six quotidiens de Groupe Capitales Médias, place la question du financement des médias, mais aussi de leur rôle essentiel au sein de la démocratie sous les projecteurs.
Certains s’indignent d’une aide financière d’urgence à GCM et s’opposent à toute mesure gouvernementale pour soutenir les médias d’information, des entreprises privées, certes, mais dont le produit est un bien public qui bénéficie à toute la population.
La crise est bien réelle depuis une décennie, au moins. À l’heure actuelle, 80% des publicités en ligne achetées au Canada sont avalées par Facebook et Google. Ne reste que des miettes pour les médias d’information qui contribuent pourtant à offrir un certain achalandage à ces plateformes numériques par les contenus qu’ils y partagent et dont ils continuent à financer la production à grands frais, sans contrepartie financière.
En rapportant ce qui se déroule dans les conseils municipaux, où à peine une poignée de citoyens se présentent chaque mois, en rapportant les décisions des élus qui, rappelons-le, sont redevables à la population qu’ils aspirent à représenter, les journalistes des médias locaux assurent une surveillance de la gestion des deniers publics, mais agissent aussi à titre de témoins du bon déroulement, ou non, de la démocratie dans toutes ces petites communautés qui, autrement, ne seraient pas couvertes.
Il est prouvé par des études nord-américaines que dans les milieux où les médias locaux se sont éteints, le coût des contrats publics octroyés de même que le salaire des fonctionnaires municipaux sont plus élevés parce qu’il n’y a plus de « chiens de garde de la démocratie » pour assurer la saine gestion des coffres; il a aussi été démontré que l’absence de médias accentue une polarisation des opinions politiques et que les gens, moins informés, sont moins tentés de présenter leur candidature à un poste électif.
Ce ne sont là que quelques effets de l’absence d’une presse locale et régionale qui, doit-on le rappeler, contribue également au rayonnement de ses acteurs et à la formation d’une identité collective propre à sa communauté d’appartenance.
Or, depuis quelques années, de plus en plus de municipalités ont amorcé un virage dans la gestion de leurs stratégies de communication et de leur image publique. Autrefois, il était facile pour un journaliste de communiquer directement avec un fonctionnaire pour obtenir des explications sur un sujet bien précis. Les élus étaient également tous disponibles pour donner des entrevues sans qu’ils n’aient à demander la permission au cabinet du maire. Aujourd’hui, on constate de plus en plus que les Villes et municipalités, qui se dotent de politiques de communication, gèrent leur image comme si elles étaient des entreprises privées, c’est-à-dire qu’elles font davantage dans le marketing que dans la transmission d’information. « Rayonner », « Qualité de vie » et j’en passe : l’emphase est mise sur le « produit » fourni par la municipalité, c’est-à-dire son offre de services, mais il est du même souffle beaucoup plus difficile d’accéder aux employés municipaux. Souvent, un responsable des communications représente la seule porte d’entrée des médias pour avoir réponses à nos questions, ce qui entraîne un long va et vient entre le journaliste et l’information, étant donné la présence d’intermédiaires qui ne connaît pas aussi bien le sujet.
Pire, tout reportage ou question d’un journaliste qui ne contribue pas à partager cette image positive de la municipalité est considéré comme un affront, comme une tentative de nuire alors qu’il ne s’agit en fait que d’exiger une reddition de comptes au nom de tous les citoyens qui n’ont pas le temps de s’en charger eux-mêmes.
Les journalistes ne sont alors plus des observateurs : ils sont des ennemis aux yeux de ceux qui administrent l’appareil municipal. Refus de répondre, réponses partielles, abus des demandes d’accès à l’information, pressions politiques sur les éditeurs ou les directions de l’information, interdiction d’enregistrer le son et l’image lors des séances publiques, boycott et parfois même des expulsions de conseils municipaux : ces mesures sont bien présentes, ici même dans les régions du Québec.
Accepter que des journaux, des stations de radio et des chaînes de télévision s’éteignent et, par la bande, accepter que le journalisme disparaisse sans mesure d’aide, c’est abdiquer devant l’obscurantisme, c’est renoncer à la transparence et à l’imputabilité de ceux qui nous gouvernent. C’est dire adieu à des histoires qui réjouissent, qui indignent et qui émeuvent.
C’est renoncer à un pan important de la démocratie, qui pourrait bien ne jamais être rétabli.
Marie-Ève Martel est journaliste à La Voix de l’Est, blogueuse, auteure de l’essai Extinction de voix- Plaidoyer pour la sauvegarde de l’information régionale et administratrice régions à la Fédération professionnelle des journalistes du Québec