Chronique d'André Pelchat
Ce côté autoritaire n’est pas une nouveauté pour les Canadiens : il n’y a pas grande différence avec le régime précédent. Par ailleurs, la loi britannique est souvent moins barbare que la loi française en matière criminelle (abolition de la torture, habeas corpus, procès devant jury).
En septembre de la même année le nouveau gouverneur entreprend de réformer l’administration de la justice. Une ordonnance adoptée par le gouverneur et le Conseil crée la Cour du Banc du Roi et une Cour des plaidoyers communs. Ce tribunal tiendra compte des lois et coutumes françaises dans les causes impliquant « les natifs de cette province » pour les causes entamées avant 1764. Les avocats et procureurs canadiens peuvent exercer devant ce tribunal. Seulement voilà : il n’y a pas d’avocats canadiens. La profession avait été, en effet, interdite dans la colonie par Louis XIV en 1667. Le roi-soleil n’était pas favorable aux débats et autres contestations…
Le général Murray doit admettre : « nous n’avons pas un seul avocat anglais qui comprenne le français. » Le problème sera résolu le 29 janvier 1765, à Québec. Ce jour-là, François Lemaître-Lamorille, Antoine-Jean Saillant, Guillaume Guillemin et Jean-Baptiste Lebrun sont assermentés. Les trois premiers sont notaires. Le quatrième est un déserteur de l’armée française étant passé à l’ennemi en 1759… Ce sont les premiers avocats à pouvoir exercer au pays. Mais attention : leur commission leur vient du gouverneur et est valide « durant bon plaisir » de celui-ci. Ils peuvent être destitués pour « de bonnes et sérieuses raisons », lesquelles sont à la discrétion de son Excellence.
Le 1er juillet 1766, le commandant en chef Irving amende l’ordonnance du gouverneur. Il autorise tous les sujets de Sa Majesté à remplir les fonctions de juré, avocat, solliciteur et procureur dans toutes les cours civiles et criminelles de la province, en les relevant de l’obligation de prêter le serment du Test. Ce serment, en effet, jusque-là exigé de tous les sujets britanniques, empêchait les Catholiques d’exercer quelque fonction publique que ce soit. C’est au Canada que sera accordée la première dérogation à cette règle dans l’Empire. Un « accommodement raisonnable » …
La pratique des nouveaux disciples de Thémis est d’abord autorisée uniquement à la Cour des Plaidoyers communs mais les nouveaux assermentés savent bien plaider leur propre cause et, dès 1766, obtiennent le droit de pratiquer dans tous les tribunaux de la province… Pour les causes civiles. Ce n’est qu’en 1841 que le droit d’être représenté par un avocat dans une cause criminelle sera reconnu.
En 1779, on fonde la Communauté des Avocats, première association professionnelle. Comme l’on sait, la profession sera un vivier d’hommes politiques pour les générations suivantes. À partir de cette époque, on voit d’ailleurs apparaître une nouvelle élite laïque formée de professionnels, avocats, médecins, notaires, arpenteurs, journalistes, petits commerçants, artisans et cultivateurs aisés, qui éclipse progressivement l’autorité des seigneurs en déclin. Une petite révolution tranquille…
On peut se demander pourquoi le 29 janvier n’est pas davantage souligné comme « Journée officielle des avocats » ou quelque chose du genre. Il s’agit, après tout, d’une étape majeure dans le cheminement vers une société de droit. Ces droits, que nous tenons tellement pour acquis…
Image : Vue du Palais de l’Intendant à Québec en 1761 Source : Richard Short / BIBLIOTHÈQUE ET ARCHIVES Canada / C-000360
Pour en savoir plus :L’avocat au Québec : 209 ans d’histoire
Les Cahiers de droit Volume 16, numéro 3, 1975, p 690 à 702 Pelchat, André
Les années dangereuses : Le Québec à l’âge des révolutions (1760-1805) Québec, Éditions Gid, 2016, Sinclair, André