DRUMMONDVILLE
Le nombre d’accidents a augmenté avec le nombre d’automobiles sur la route comme on pouvait s’y attendre. En 1908 seul 392 véhicules étaient immatriculés au Québec alors qu’en 1925 on en était à 95 960! Les accidents, cependant, tendaient, proportionnellement, à être plus mortels autrefois car les normes de sécurité n’étaient pas ce qu’elles sont devenues depuis.
Qu’il suffise de penser à la ceinture de sécurité, rendue obligatoire en 1976, malgré de nombreuses protestations, de principe ( « attaque contre la liberté individuelle ») ou basées sur des informations erronées (« Et si mon auto prend en feu ? »).
Certains comportements des automobilistes d’autrefois seraient aujourd’hui jugés irresponsables. En 1931, une tragédie dans notre région mit en lumière certains de ces comportements.
Cet été-là on est en campagne électorale. Le gouvernement libéral d’Alexandre Taschereau cherche un troisième mandat. Camillien Houde, chef du Parti conservateur du Québec, espère bien lui ravir le pouvoir. Le scrutin se tient le 24 août.
Comme la télévision n’existait pas encore et qu’il n’y avait pas encore des stations de radio dans toutes les régions, la coutume des « Assemblées contradictoires » tenues devant public demeurait la norme. Dans Drummond devaient s’affronter le 23 août, veille des élections, les candidats Hector Laferté (libéral) et Napoléon Garceau (Conservateur). Le débat se tenait à Saint-Eugène.
Les élections se tenant sur fond de crise économique, on devine que les passions se déchaînaient (Le taux de participation sera d’ailleurs de 77%). Pour les gens de la région intéressés, il fallait encore s’y rendre. Tout le monde n’avait pas une automobile et le cheval était lent. On pratiquait donc couramment le co-voiturage. Mais ici le co-voiturage était un peu… extrême.
Un témoin originaire de Saint-Simon raconte s’être rendu à une autre assemblée, à Saint-Cyrille, une semaine plus tôt :
« Je m’étais rendu en auto avec des amis à Saint-Cyrille pour l’assemblée contradictoire qui
devait avoir lieu après la grande messe. Dans l’après-midi il devait y avoir une autre assemblée à Notre-Dame et mes amis décidèrent de s’y rendre. Moi, de mon côté, je décidai de m’en revenir
à Saint-Simon et je montai dans un camion en partance pour ce dernier endroit. Les hommes tassés, debout , le camion était surchargé. Le conducteur nous amenant à une vitesse effarante
que j’en éprouvais la frayeur de ma vie. À la moindre défectuosité de la route le camion nous brassait et tous les hommes debout étaient projetés de gauche à droite et me donnait
l’impression que le camion en viendrait à chavirer. Je fis la promesse que jamais plus de ma vie je m’embarquerais dans une galère roulante de cette espèce. » [i]
Aujourd’hui, il serait totalement illégal de transporter des gens de cette façon mais, comme disait la chanson : « Dans l’bon vieux temps, ça se passait d’même… »
Le dimanche suivant, le témoin se disait intéressé à aller à l’assemblée tenue à Saint-Eugène mais, voyant le camion surchargé qu’on lui proposait comme moyen de transport, il préféra s’abstenir. « Non merci mes amis ! Vous êtes assez nombreux qui courez vers le danger; moi, j’attendrai quelqu’un qui doit me mener en ville. » leur aurait-il dit. Il ajoute : « Le camion partit à une vitesse inconcevable et vingt minutes à peine s’étaient écoulées que les autos arrivaient nous amener l’horrible nouvelle que le camion avait chaviré et qu’il y avait des morts et des blessés. »
En fait, comme il appert à la lecture d’un article en première page du « Nouvelliste » le lendemain, le camion surchargé était entré en collision avec une automobile roulant en sens inverse. Les deux véhicules roulèrent dans le fossé. On devine que les passagers debout à l’arrière du camion furent projetés dans tous les sens. Le bilan : 6 morts et 19 blessés.
Les morts furent : Joseph Allard, Maurice Geoffrey, Charles-Édouard Danis, Paul Gagné et Armand Fontaine. Un sixième blessé devait décéder à l’hôpital. Signalons que les deux premiers avaient respectivement 20 et 18 ans et, par conséquent, n’avaient pas le droit de vote à l’époque puisque l’âge légal était de 21 ans.
Le conducteur du camion, M. Jos Hébert fut légèrement blessé, de même que celui de l’automobile, un Montréalais du nom de George Bessette.
Nul doute que la tragédie a bouleversé le village de Saint-Simon et toute la région. Néanmoins il faudra du temps avant de changer la loi et les mœurs. Rappelons que la ceinture de sécurité ne deviendra obligatoire qu’en 1976, soit 45 ans plus tard !
[i] Landry, Nicole, Évènements tragiques à Saint-Simon selon les écrits d’Adélard Lambert, La Lanterne Société de généalogie de Drummondville, vol 26, no 3, été 2021, p 14