DRUMMONDVILLE
C’est en effet le 24 mai 2020 qu’une préposée aux bénéficiaires avait retrouvé Mme Marie-Claire Hamel au pied de son lit, étendue sur le côté gauche. À ses côtés, un résident était présent, tandis qu’il ne s’agissait pas de sa chambre.
Simple chute accidentelle? L’homme aurait-il poussé Mme Hamel? Le coroner indique : «… on suppose que ce dernier a pu intervenir dans ce qu’on croit être la survenue d’une chute mécanique. Il est suspect pour avoir possiblement poussé Mme Hamel. Mais, personne n’a été témoin (réel) de cette prétendue chute et on ne peut ni à ce moment ni plus tard, expliquer les circonstances ainsi que la présence de l’autre résident. » L’homme souffrait d’incapacités cognitives importantes.
Des douleurs prises au sérieux seulement près de 48 heures après la chute
Bien que trois préposées aux bénéficiaires soient intervenues dans les secondes suivant l’incident et qu’une superviseure ait été interpelée relativement à l’incident, il a été impossible pour Mme Hamel d’être vue rapidement par un médecin. Même l’infirmière de garde a refusé de se rendre à son chevet. On a pris les signes vitaux et constaté, à première vue, aucune blessure. À l’heure du souper, « Mme Hamel est amenée avec assistance de deux PAB mais elle crie de douleur et on craint qu’elle s’évanouisse. La superviseure de soir, après avoir été avisée du mal en point de la résidente, n’en fait pas trop de cas et croit que cette dernière fait semblant d’avoir mal car, Mme Hamel, avait, selon elle, tendance à simuler certains états. »
Voilà un fait qui a, comme l’écrit le coroner, soulevé bon nombre de questions pour la famille immédiate.
Est-il donc possible qu’un préjugé défavorable ait pu influencer la décision de la superviseure en question? Comment expliquer que l’on n’ait pas, par mesure préventive, envoyé Mme Marie-Claire Hamel consulter un médecin pour s’assurer qu’elle n’avait réellement aucune blessure? Ne serait-il pas logique, après tout, dans le système de santé, d’être pris au sérieux afin de pouvoir infirmer une hypothèse plutôt que d’attendre… quarante-huit heures?
D’autres éléments inscrits au rapport du coroner Garneau amènent davantage de questionnements en ce sens et laissent penser que le personnel en place n’a pas agi dans l’intérêt de Mme Hamel. Entre autres, le fait qu’elle réagissait à la douleur avec agressivité, rendant impossible le changement de sa culotte d’incontinence, le premier jour. La situation ainsi gérée a amené l’équipe du lendemain matin à avoir pour perception, à la lecture du dossier médical, que Mme Hamel avait un simple mal de ventre et qu’elle n’avait pas été blessée dans sa chute.
« Cette infirmière ne se rend pas dans la chambre de la résidente pour la voir, l’évaluer ou vérifier. Pour cette dernière, les maux de ventre sont fréquents chez les résidents et cela ne vaut pas son déplacement », écrit le coroner, Yvon Garneau, dans son rapport.
La suite des événements de ce jour-là est digne d’un récit d’horreur. La dame, qui n’a pas mangé depuis la veille, porte toujours les vêtements de la veille et son lit est souillé d’urine. On peine à la changer et à prendre ses signes vitaux puisqu’elle hurle en raison de la douleur, et ce, à plusieurs reprises, peut-on lire. Et malgré cela, on n’investigue pas davantage.
Après combien d’heures de souffrance non prise au sérieux pourrait-on affirmer que cela frôle la négligence criminelle de la part des équipes de soignants qui se succèdent d’un quart de travail à l’autre? Le rapport ne fait pas mention clairement de ceci, mais c’est une question qui nous brûle les lèvres à la lecture du rapport.
Le surlendemain matin, soit le 26 mai, vers 9 h 59, il est inscrit au dossier de Mme Hamel qu’elle paraît déshydratée. Était-ce suffisant pour que quelqu’un agisse? Malheureusement pas. Les notes au dossier indiquent que vers 14 h 21, « Mme Hamel a de la difficulté à marcher et souffre (douleur) ». Le coroner Garneau constate alors que les observations ont un lien avec la chute survenue deux jours plus tôt.
Ensuite, la même équipe de soir que la veille constate que la situation est problématique. Les préposées alertent l’infirmière (celle qui ne s’était pas déplacée la veille) et celle-ci s’y rend seulement lorsque la superviseure insiste auprès d’elle afin qu’elle visite Mme Hamel, mais près d’une heure plus tard. C’est là qu’elle voit, « de ses propres yeux que la patiente à une remarquable ecchymose à la fesse gauche et qu’elle faisait de la fièvre. »
Elle suspecte alors une fracture de la hanche…
Le coroner ajoute ceci : « Voilà ce qui était parfois exprimé de façon extrêmement troublante. »
On ne saurait être plus juste. Deux jours pour suspecter une fracture de la hanche à une résidente ayant été retrouvée au sol après une chute apparente ne nous apparaît-il pas inacceptable dans un système de santé où le patient et son bien-être sont censés être au cœur des actions du personnel?
Mme Hamel est finalement transportée l’hôpital Sainte-Croix, où l’on confirme une fracture sous-capitale du fémur gauche avec un déplacement supérieur d’une quinzaine de millimètres.
Pour le coroner, les conclusions sont claires. « Dans les jours qui ont suivi, je peux affirmer que la fracture subie et la forte médication qui lui a été administrée pour la soulager de ses douleurs, ont eu raison de ses faibles réserves d’énergie et amené diverses complications (multifactorielles) qui ont conduit ultimement à son décès, survenu à 6 h 40 […] le 3 juin 2020. »
Ce décès aurait-il pu être évité si la douleur manifestée à la suite de la chute avait été prise au sérieux dans l’immédiat par les gestionnaires en place?
Le rapport du coroner, Me Yvon Garneau, fait une analyse approfondie du (malheureux) contexte ayant entouré les décisions prises par le personnel soignant auprès de Mme Hamel.
Délai d’enquête plus long qu’à la normale
Comment expliquer qu’un tel rapport soit rendu public plus de vingt-cinq mois après les événements? D’abord, le contexte de la pandémie de la COVID-19, qui empêchait le coroner de procéder comme il en a l’habitude. « La principale raison est que des enquêtes privées et publiques du coroner ont été mises sur pied afin de voir de plus près les circonstances et causes de décès survenus durant cette période trouble […]. »
D’après le rapport du coroner, il y a également eu enquête de la Division des enquêtes sur les crimes majeurs de la Sûreté du Québec, à laquelle le coroner lui-même a pris part. Il est indiqué que certains éléments observés « ont soulevé des questions concernant une possible négligence criminelle en lien avec le décès. Or, le rapport d’enquête de la SQ a été déposé au DPCP, qui n’a pas été en mesure de porter des accusations dans ce dossier.
Par contre, il est fait mention, dans le rapport de Me Garneau, d’un point culminant dans le rapport de la SQ, soit l’affirmation des préposées aux bénéficiaires selon laquelle « si cela n’avait été que de leur pouvoir, Mme Hamel aurait été transférée [à l’hôpital] illico. »
Malgré ces mentions, Me Garneau précise que son rapport n’est pas un complément au travail des policiers-enquêteurs et qu’il ne peut se prononcer sur la responsabilité civile ou criminelle d’une personne, comme le veut la responsabilité d’un coroner.
Or, les faits parlent d’eux-mêmes et sont fort troublants, pour ne pas dire accablants pour le personnel ayant fait preuve de négligence. La chute en elle-même a été banalisée, comme l’écrit Me Yvon Garneau dans sa recension des faits, et Mme Hamel a souffert pendant dans deux jours sans être prise au sérieux.
Tenue à l’écart de toute décision en raison du contexte de la pandémie de la COVID-19, la famille n’avait pas été informée de la situation avant les funérailles de Marie-Claire Hamel, où une préposée aux bénéficiaires venue lui rendre un dernier hommage a raconté le calvaire de Mme Hamel à la famille. Voilà qui a soulevé, pour elle, comme l’écrit Me Garneau, un certain nombre de questions.
En guise de recommandation, Me Garneau indique recommander au Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec « d’envoyer immédiatement avant toutes conclusions d’un plan de travail à venir, une consigne à l’ensemble des Résidences intermédiaires sur son territoire à l’effet de demander une consultation médicale dès qu’une ou un bénéficiaire fait une chute ou se plaint de douleurs. »
En ce sens, le coroner a ajouté une section dans son rapport intitulée « Garanties pour l’avenir », où il indique que différentes mesures ont été prises par la gestionnaire de l’établissement, notamment un rappel à chaque préposé aux bénéficiaires et infirmière ou infirmière-auxiliaire de s’assurer de visualiser les hanches adéquatement, même si la personne peut se mobiliser. On pourrait penser qu’il s’agit pourtant de la base de la formation et de ce qui devrait faire partie des premières actions de ces travailleurs de la santé…
Outre le fait de miser sur une gradation des moyens afin d’être entendu pour le personnel qui soulèverait une détérioration de la condition, Me Garneau écrit ceci, fort troublant également :
« Toutefois et avec respect, la mise en place de nouvelles mesures pour la gestion des urgences nécessite toujours plus de temps qu’on croyait au départ. Il me semble, à moi et à d’autres coroners qui ont investigué dans des circonstances similaires ailleurs au Québec, que lorsqu’un résident ou une résidente fait une chute et se plaint de douleurs suivant celle-ci, que le gros bon sens demande simplement d’appeler un médecin sans autre formalité. »
La publication de ce rapport coïncide avec la publication d’une nouvelle par le Vingt55, cette semaine, où il était indiqué que « le nombre d’hospitalisations liées aux chutes chez les aînés a augmenté de 47 % et que le taux de mortalité dû aux chutes a également augmenté au cours des dix dernières années. Bien qu’elles fassent rarement la une des journaux, les chutes chez les aînés ont causé deux fois plus de décès que tous les accidents de la route, 4 849 contre 1 939. »
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