DRUMMONDVILLE
Aujourd’hui personne ne s’étonne d’avoir un voisin qui s’appelle Nguyen, ou de trouver de bons restaurants offrant la cuisine vietnamienne ou cambodgienne dans la région. Pourtant, il fut un temps où la majorité des Québécois n’auraient pas su la différence entre un Vietnamien et Cambodgien, ou d’ailleurs un Chinois. Mais subitement, à la fin des années 70, tout cela a changé.
En 1975, la guerre du Vietnam, qui dure depuis 10 ans (trente si on compte la première guerre d’Indochine avec les Français), se termine enfin. Elle se termine par la victoire totale du Vietnam du Nord communiste sur le Sud-Vietnam qui disparaît de la carte. Simultanément, d’autres communistes prennent le pouvoir au Laos et, plus tragiquement, au Cambodge. Dans les trois pays, la répression s’abat sur tous ceux qui ont soutenu les anciens régimes, ou en sont soupçonnés. La désorganisation de l’économie engendre la misère. Et finalement, même la guerre ne cesse pas tout à fait : au Cambodge, (devenu « Kampuchéa démocratique »), les Khmers Rouges se livrent à des massacres insensés qui, avec la famine, tueront près 2 millions de personne dans un pays de 8 millions d’habitants. Le conflit sino-soviétique s’en mêle. Les Khmers rouges, alliés de Pékin, se livrent à des attaques sur le territoire vietnamien. En 1978, le Vietnam réplique en envahissant le Cambodge pour y installer un gouvernement allié à l’URSS. La Chine, encouragée par les pays occidentaux, décide de « punir » le Vietnam et attaque son voisin du sud.
Il ne faut donc pas s’étonner que des millions de Vietnamiens, Cambodgiens et Laotiens décident de fuir leurs pays pour éviter d’être tué, torturé ou tout simplement de mourir de faim. Ils le font sur des bateaux de fortune, on les appellera les « boat people ». Dès 1975, 130 000 personnes fuient l’ancien Sud Vietnam. Le flot s’enfle bientôt, il atteindra près de 400 000 durant l’année 1979. L’ONU presse les gouvernements d’agir, près de 250 000 personnes ayant péri en mer.
C’est le plus gros exode de réfugiés depuis la Seconde Guerre mondiale. Plusieurs pays occidentaux, dont le Canada, répondent à l’appel de l’ONU. Dès 1975, le bureau des visas canadiens à Hong Kong promettait des visas à environ 15 000 personnes parrainées par des Canadiens. Ce fut rapidement insuffisant. En 1978, un premier groupe de 600 réfugiés non parrainés arrive au pays et le Canada crée un programme de parrainage. Des instructions précises sont données pour s’assurer, dans la mesure du possible que les familles seront gardées ensemble. Ce seront finalement un peu plus de
60 000 réfugiés qui arriveront au Canada entre 1975 et 1981.
En principe, les COFI (Centres d’orientation et de formation des immigrants, créés en 1969 et fermés en 2000 ) étaient responsable de l’intégration de ces gens au Québec. Toutefois ils furent vite débordés et les Commissions scolaires furent appelées à la rescousse.
C’est par un contrat signé entre le Ministère de l’Immigration et le service de l’éducation aux adultes de la Commission scolaire que 13 « réfugiés de la mer », arrivaient le 19 juin 1979, attendus par leurs familles d’accueil. L’organisme « La Source » s’était localement occupé de l’organisation, notamment de les loger temporairement, en collaboration avec des fonctionnaires fédéraux. Un contingent de 100 réfugiés, Vietnamiens, Laotiens et Cambodgiens viendra finalement à Drummondville. Des services de formation leur étaient offert, incluant 900 heures d’enseignement du français pendant 30 semaines.
Ces personnes, au Vietnam, avaient eu des emplois, parfois des postes prestigieux, des propriétés, des biens. Ils avaient tout perdu et devaient repartir à zéro dans un pays aussi différent que possible de celui où ils avaient grandi et dont, souvent, ils ne parlaient aucune des deux langues officielles.
Les familles d’accueil les aidèrent à se trouver un logement, à apprendre le français, les initièrent aux façons de faire dans leur nouveau pays. Cependant tout n’était pas rose, notamment au niveau de l’emploi : Drummondville n’était pas le meilleur endroit où se trouver du travail dans ces années où les usines textiles fermaient les unes après les autres et où l’économie était dans un marasme tel que la revue L’Actualité devait, en 1980, qualifier Drummondville de « ville à l’agonie ». Cela explique sans doute que, sur ces 13 premiers réfugiés, un seul habitait encore à Drummondville 40 ans plus tard, M. Vi Hung Truong.
Mais les choses se sont améliorées depuis et, si plusieurs de ces réfugiés indochinois ont quitté Drummond, plusieurs autres, avec le temps, sont partis d’autres villes pour venir vivre ici. Ils exercent divers métiers, de restaurateur à médecin et plus personne ne s’étonne de leur présence… Et nous en sommes tous plus riches.
Comme disait Henry Ford : « People won’t stay put!” (Les gens ne restent pas en place!).