DRUMMONDVILLE
Dans notre région, le déménagement d’une église a déjà soulevé de telles passions qu’il s’en fallut de peu que cela se termine par un homicide !
L’histoire commence en 1826. L’abbé John Holmes, missionnaire catholique, voit avec inquiétude le passage de prédicateurs protestants dans son secteur. Le notaire Joseph-Charles St-Amant écrit :
« Les sociétés bibliques d’Angleterre cherchaient à asseoir sur des bases solides la religion protestante dans nos townships et envoyaient déjà depuis plusieurs années leurs missionnaires, auxquels ils ne ménageaient pas les secours.
Il fallait combattre cette influence, il fallait se multiplier, se centupler pour pourvoir à tous les besoins. »
M. Holmes entreprend donc d’acheter des terrains aux endroits propices pour ériger des chapelles catholiques et former les noyaux des paroisses d’aujourd’hui. (…) y compris à Wickham, ou plus exactement à Wheatland. La municipalité actuelle de Wickham est issue de la scission de ce village, l’autre partie étant devenue St-Nicéphore. (Je remercie d’ailleurs M. Mark André d’avoir attiré mon attention sur cette confusion possible.)
C’est le 28 octobre 1826 que le missionnaire achète à Peter Plunkett « un acre de terre en superficie » pour y bâtir l’église St-Pierre de Wickham (actuellement sur le territoire de St-Nicéphore).
Ce Peter Plunkett, un des premiers colons du village, est un vieux soldat britannique. Durant les guerres napoléoniennes, il a participé à la bataille de Copenhague, en 1807, à bord d’un navire de la Royal Navy. Arrivé au Canada il a été à la bataille des hauteurs de Queenstown, près de Niagara, durant la guerre de 1812.
Il est un des premiers syndics de la nouvelle paroisse de Saint-Pierre de Wickham. On verra qu’il a conservé un caractère guerrier.
Or voici que le 13 novembre 1847 une pétition, signée par 108 habitants du comté de Durham, demande que l’église de Wickham, qui selon eux tombe en ruines, soit rapprochée d’eux ou qu’une nouvelle église soit bâtie chez eux. De plus l’église de Wickham est selon eux, située dans le coin le moins peuplé de la paroisse ils doivent parcourir une distance de « douze à quinze milles » pour s’y rendre L’archevêque de Québec, Mgr Signay, désigne un prêtre, M. Louis Proulx, pour aller constater ce qu’il en est.
Dès le mois de mars 82 habitants signent une requête à Mgr Signay, archevêque de Québec, lui demandant que la chapelle de Wickham ne soit pas abandonnée au profit de Durham et soit réparée.
La requête ne sera guère entendue puisque Mgr Signay rédigera le décret suivant, en juillet 1848 :
« (…) le Procès-Verbal de M. Louis Proulx, un des prêtres attachés à notre administration, en date du 10 janvier de la présente année, nous étant convaincu que la chapelle actuelle servant de lieu de réunion pour le culte aux fidèles des Townships de Wickham et Durham est dans un état de vétusté qui nécessite la bâtisse d’une nouvelle chapelle, que d’ailleurs cette chapelle ne se trouve pas dans le centre de la population catholique appelée à la fréquenter, que, de plus, il importe de la placer de manière qu’un prêtre puisse résider dans le voisinage pour la desserte religieuse des fidèles des dits townships, nous avons ordonné et ordonnons ce qui suit :
Il sera bâti dans le troisième rang du dit township de Durham sur un emplacement acquis à cet effet des Sieurs Firmin Boucher et Antoine Courchène à environ cent pieds du chemin du Roi, une église en brique de cent pieds de longueur sur quarante-cinq pieds de largeur et dix-huit de hauteur (…)» La nouvelle église sera terminée à l’automne 1849.
Entretemps, en août 1848, 8 habitants de St-Pierre de Wickham ont signé une nouvelle requête demandant de conserver leur église. Sans plus de succès.
Donc, le 16 décembre 1849, une assemblée des marguilliers de Wickham a lieu pour décider s’il serait à propos de « transporter les effets mobiliers » de l’église de St-Pierre de Wickham à la nouvelle église. N’arrivant pas à un consensus, on a recours à une assemblée des habitants propriétaires qui se prononce en faveur du transfert. Plusieurs, refusant cette décision, se retirent de l’assemblée. Parmi eux, Peter Plunkett.
Les habitants de Durham se dépêchent de venir chercher les objets transportables à l’église sur le point d’être abandonnée, avec le missionnaire John Holmes à leur tête. C’est au moment où M. Olivier Charpentier monte sur le toit de l’église pour en descendre la cloche que les choses manquent de tourner au drame. Peter Plunkett arrive avec son fusil et couche en joue M. Charpentier, prêt à tirer. Charpentier sera sauvé par l’intervention du gendre de Plunkett, M. François Lahaie, qui l’empêche de tirer.
Les habitants de Wheatland sont mortifiés par la disparition de la chapelle où ils s’étaient réunis depuis 18 ans et, pendant qu’on empaquette les chandeliers, lampes, livres et vases sacrés, on entend s’exclamer « Poor Wickham is gone! », ce qui était exagérément pessimiste, mais plusieurs opposants refusèrent longtemps d’aller à la messe à la nouvelle église, même après qu’elle eut été remplacée par une église en brique, en 1854. À cette date, une nouvelle paroisse avait été créée pour Durham
Ce n’est pas le seul exemple de ce genre de conflit soulevés par l’emplacement d’une église : En 1878, 18 habitants de Notre-Dame-des-Anges-de-Stanbridge seront tellement mécontents du choix d’un emplacement d’église qu’ils renièrent le catholicisme et se firent protestants ! Ça donne tout son sens à l’expression « querelle de clochers » !