DRUMMONDVILLE
Accident du travailleur Pascal Cauchon le 8 avril 2021 © Crédit photo Eric Beaupré / Vingt55. Tous droits réservés.
Le rapport du coroner de 17 pages contient plusieurs données qui portent à réflexion, notamment les mesures essentielles à mettre en œuvre, soit, entre autres, des changements majeurs dans les protocoles de sécurité des travailleurs de chantiers en zone routière pour éviter qu’un autre drame comme celui-ci survienne de nouveau.
Pascal Cauchon, la victime, âgée de 39 ans, travaillait comme superviseur d’une équipe de signaleurs routiers pour une compagnie liée au ministère des Transports du Québec (MTQ) sur une portion de l’autoroute 20 Est, près du kilomètre 188, à Saint-Cyrille-de-Wendover, lorsqu’il a été happé, avec un autre de ses collègues, par un camion lourd de type train routier. Le décès de M. Cauchon avait été constaté sur place par deux patrouilleurs de la Sûreté du Québec (SQ) à 13 h 05. L’autre victime s’en était miraculeusement tirée vivante, ayant été happée par le poids lourd à peu près au même point d’impact que M. Cauchon.
Une vaste enquête du coroner menée auprès de différentes instances
Le rapport du coroner, Me Yvon Garneau, fait référence autant à des entités rencontrées (dont l’Association des travailleurs en signalisation routière du Québec (ATSRQ), qui a mentionné avoir du mal à se faire entendre, depuis les dernières années, pour que des améliorations soient apportées aux protocoles de sécurité des travailleurs en zone routière), aux enquêtes menées par la Sûreté du Québec, le ministère des Transports du Québec et la Commission des normes, de l’équité, de la santé et de la sécurité des travailleurs (CNESST), entre autres, faisant également mention des recherches qu’il a personnellement menées dans le cadre de son enquête auprès de la Société de l’assurance automobile du Québec (SAAQ) et du gouvernement du Nouveau-Brunswick à propos du conducteur fautif, originaire de cette province. Chaque instance ayant mené une enquête sur ce décès conclut d’ailleurs que celui-ci aurait pu être évitable, comme le rapporte le coroner Garneau.
Les conclusions de Me Garneau soulèvent des questions importantes, dans les faits observables dans la vidéo filmée depuis la cabine intérieure et extérieure du conducteur en cause dans l’accident. Le coroner précise être en désaccord avec les conclusions de la CNESST, lesquelles suggèrent qu’au dernier moment avant l’impact, le conducteur du train routier a tenté une manœuvre d’évitement et qu’il était trop près du véhicule atténuateur d’impact pour y parvenir, ce qui aurait entraîné une perte de contrôle du train routier. « Je ne partage pas cette conclusion. Je retiens plutôt qu’un temps de freinage du camion lourd aurait permis d’éviter l’impact. »
Dans son rapport bien ficelé, le coroner Garneau établit la chronologie des événements et les causes probables de l’accident, en plus de donner lieu à des recommandations essentielles à mettre en œuvre pour améliorer la sécurité des travailleurs de chantiers en zone routière.
Les conclusions de l’autopsie sont claires : plusieurs lésions visibles « sur le corps ainsi que, de façon bien évidente, les multiples blessures internes et externes sont compatibles avec un polytraumatisme. Des analyses toxicologiques n’ont par ailleurs rien révélé dans le sang de la victime.
Les faits qui suscitent un certain nombre de questions dans cette affaire concernent plutôt le conducteur à l’origine du décès de M. Cauchon, un décès qui aurait pu être évitable, selon les conclusions du coroner Garneau.
Ce jour-là, vers 12 h 50, l’équipe de M. Cauchon se présente au kilomètre 188 de l’autoroute 20 Est, à Saint-Cyrille-de-Wendover, près de Drummondville. L’équipe est composée de M. Cauchon, d’un conducteur du VP-AIFV (nom donné au véhicule atténuateur d’impact) et de deux installateurs. « À leur arrivée, le conducteur de l’atténuateur stationne ce véhicule dans la voie de droite de l’autoroute 20 Est, bloquant celle-ci aux usagers de la route […]. Pour être plus précis, […] les roues du côté passager sont positionnées sur la ligne de rive, ce qui fait qu’il donne encore une certaine marge de manœuvre sur le côté gauche de la voie […]. » Le camion cube et la camionnette se trouvent dans l’accotement de droite « avec les roues du côté conducteur sur la ligne de rive ».
Sur le schéma, on constate un « espace tampon » entre le VP-AIFV et le camion cube, séparés par 25,6 mètres. « La preuve a été faite que la flèche de signalisation lumineuse de l’atténuateur d’impact est allumée montrant une flèche vers la gauche, exigeant que les usagers de la route changent de voie », précise le coroner Garneau dans son rapport.
Si tout semble avoir été bien exécuté, une certaine confusion par rapport aux dessins normalisés pourrait avoir été en cause, le 8 avril 2021, entre le plan établi et celui réalisé sur le terrain par l’équipe de M. Cauchon. « Si ça devient une confusion pour les signaleurs et les signaleuses, ça le devient aussi pour le coroner qui essaie de comprendre », nous a mentionné le coroner Garneau, en entrevue téléphonique au Vingt55. « Le dessin normalisé qui a été appliqué le 8 avril 2021 par le superviseur Cauchon n’est pas celui qui était prévu, mais celui qui était prévu était difficilement applicable, selon ce que l’enquête dit. Donc, un autre dessin a été appliqué. Mais malgré cela, un corridor de sécurité devait être respecté », a-t-il ajouté. Le superviseur, M. Cauchon, n’avait pas nécessairement à demander à ce que le camion VP-AIFV soit placé en partie dans la voie de droite, mais il l’a fait, sans doute dans un souci de sécurité, pour forcer les gens à faire une manœuvre assurant un corridor de sécurité.
Que sont les dessins normalisés? Il s’agit d’un catalogue de plans produits par des ingénieurs, à mettre en œuvre, dans différentes situations précises, pour installer ou désinstaller une zone de travail en bordure de route et dont les normes de sécurité varient en fonction d’un chantier de courte durée, comme c’était le cas pour l’équipe de M. Pascal Cauchon, ou de longue durée. Ainsi, pour des travaux de très courte durée (TTDC), les travailleurs, comme M. Cauchon le 8 avril 2021, n’ont pas « l’autorité » nécessaire, comme l’indiquait le coroner Garneau en entrevue au Vingt55, pour placer une affiche abaissant la limite de vitesse de 100 km/h à 70 km/h dans cette zone.
En ce sens, la norme veut que la vitesse ne soit pas abaissée tant que le chantier n’est pas en fonction. Il serait judicieux que ce soit le cas dès que le premier panneau est posé, de l’avis du coroner Garneau.
Les cinq minutes avant l’accident bien documentées grâce à la caméra de bord du camionneur
Les cinq dernières minutes avant la collision fatale sont très bien décrites par le coroner, qui a pu bénéficier de l’enregistrement de l’intérieur et de l’extérieur de la cabine du conducteur.
Ainsi, dans la vidéo, il a été possible, pour tous les enquêteurs et le coroner, de constater que les véhicules devant le train routier effectuaient la manœuvre du corridor de sécurité en arrivant près de la zone où l’équipe de Pascal Cauchon travaillait.
Extraits du rapport du coroner :
« On peut voir jusqu’à 500 m au-devant […]. La vidéo laisse voir, au loin, une flèche pointant vers la gauche car la voie est entravée par l’atténuateur d’impact. À l’approche du signal de changement de voie par une flèche, le rétroviseur du train routier montre une camionnette blanche, lettrée commercial, Ford F-150, trainant une remorque amorcer un dépassement vers la gauche. Ce faisant, le conducteur de cette dernière dirige son véhicule le plus loin possible dans la voie de gauche, empiétant même sur l’accotement afin de faire, manifestement, une manœuvre communément appelée « move over » ou corridor de sécurité. »
« […] un camion bleu avec une remorque blanche arrive à sa hauteur et effectue son dépassement pour […] se repositionner devant lui. À 3 min 58 s, cette même remorque a effectué sa manœuvre du corridor de sécurité, move over. On aperçoit, à ce moment même, deux autres véhicules blancs […] [qui] effectuent cette manœuvre de sécurité à leur tour. »
« Ainsi, en se fiant au visionnement de la vidéo, le conducteur du train routier est censé voir, devant lui, les mêmes mouvements de véhicules que je viens de décrire en plus de l’atténuateur d’impact avec la flèche indiquant une direction vers la gauche. La vitesse à laquelle circule le train routier ne change pas. Elle demeure constante au tableau de bord et la trajectoire rectiligne se maintient également, soit en restant dans sa voie de droite. »
La collision avec l’atténuateur d’impact est survenue à 100 km/h, faisant dévier le véhicule, qui a heurté la victime et le véhicule dans lequel elle allait prendre place. Une roue droite s’étant détachée du véhicule est à l’origine de la déviation, qui, successivement, « blesse un installateur, heurte le superviseur Pascal Cauchon et percute [sa] camionnette […]. La trajectoire se termine dans le fossé au sud de l’accotement. »
Le rapport du coroner précise également ces observations troublantes :
« L’enregistrement vidéo permet de voir le conducteur du train routier qui ne prend pas en considération le mouvement des véhicules qui changent de voie avant l’impact; il ne ralentit pas, ne fait aucune action pour essayer d’éviter l’impact (en appréhendant ce qui se passe devant lui), il devait ralentir sa vitesse et amorcer un changement de voie à au moins 500 mètres du lieu de l’accident. La diminution de vitesse, décélération, aurait même pu l’amener à arrêter complètement à une certaine distance de l’atténuateur », selon l’avis du coroner dans le rapport.
Dans son angle mort, grâce au rétroviseur installé sur l’aile droite, il pouvait annoncer son intention de changement de voie bien avant l’approche d’autres véhicules alors qu’en ralentissant, le camion Ford 150 blanc l’aurait rapidement doublé et, tout de suite après, rien ne l’empêchait d’amorcer à son tour, son corridor de sécurité. » Selon des professionnels consultés, si le conducteur avait ralenti, le corridor de sécurité aurait facilement pu être réalisable. Le coroner pose une question légitime dans ce passage de son rapport : « Est-ce que la situation aurait été différente s’il s’agissait de la présence d’une auto-patrouille de police qui entrave une partie de la voie? »
Un dossier qui aurait dû être soumis au DPCP ?
Concernant la vitesse, le coroner indique dans son rapport que ce fait aurait pu valoir au conducteur « un rapport d’infraction général » en vertu du règlement sur le permis spécial de circulation d’un train routier. Or, aucun billet d’infraction n’a été émis, d’après les informations recueillies par le coroner Garneau.
« Dans un rapport complémentaire annexé à celui de l’enquête de la SQ […] destiné à la Société d’assurance automobile du Québec (SAAQ) […], les agents reconstitutionnistes indiquent les deux principales causes probables (parmi d’autres qui sont suggérées sur un formulaire), lesquelles à leur avis ont le plus contribué à l’accident. Les agents cochent alors des numéros de code ainsi :
108 – Inattention (n’a pas vu)
126 – Autre comportement négligent »
Malgré cela, le rapport de la SQ n’a pas été soumis au DPCP. Aucune plainte en vertu du Code criminel et du Code de la sécurité routière n’a été trouvée par le coroner.
Recommandations du coroner Garneau
Plusieurs recommandations essentielles à mettre en œuvre sont longuement décrites dans le rapport, qui tient également compte des améliorations apportées par la CNESST, le MTQ et l’employeur, entre autres.
Le coroner Garneau recommande à la SAAQ « d’intensifier ses efforts en menant des activités d’éducation et de sensibilisation auprès des conducteurs de véhicules quant à l’importance de respecter le corridor de sécurité mis en place lors de travaux sur le réseau routier.
Au MTQ, il recommande « d’installer un panneau à messages variables (PMV) localisé le plus près du chantier annonçant 24 h à l’avance et que toute entrave de voie soit annoncée, en temps réel, sur les PMV; de se concerter avec la Sûreté du Québec pour une surveillance policière accrue pour la durée de l’installation et de l’enlèvement des dispositifs de signalisation pendant les travaux; d’abaisser la vitesse à 70 km/h pour les travaux de courte durée lors d’installation et d’enlèvement des dispositifs de signalisation; d’augmenter les amendes et les points d’inaptitude de conducteurs de véhicules lors du non-respect du corridor de sécurité mis en place lors de travaux sur le réseau routier. »
Entrevue avec Eric Laflamme, président de l’Association regroupant les installateurs et signaleurs du Québec (ARISQ © Entrevue vidéo Eric Beaupré / Vingt55. Tous droits réservés.
Des collègues et travailleurs réunis un an après l’accident à la mémoire de Pascal Cauchon souhaitent que le rapport du coroner Yvon Garneau apporte des changements
Des collègues du travailleur Pascal Cauchon se sont réunis hier, un an jour pour jour après le triste accident, pour lui rendre hommage. Ils en ont profité pour ériger un mémorial sur les lieux de l’accident au moyen d’une croix de fer avec un message commémoratif. « Pascal Cauchon – 1982-2021 – Tu resteras gravé dans la mémoire de tous tes ami(e)s de la signalisation. De toute l’équipe de Jesna. » Sur la croix, un dossard de sécurité et une gerbe de fleurs ont également été déposés. En entrevue, Éric Laflamme, président de l’Association regroupant les installateurs et signaleurs du Québec (ARISQ), souhaite que le gouvernement suive les recommandations du coroner, Me Yvon Garneau.
Des collègues du travailleur Pascal Cauchon ont ériger un mémorial sur les lieux de l’accident au moyen d’une croix de fer avec un message commémoratif © Crédit photo Eric Beaupré / Vingt55. Tous droits réservés.