En février 1945 une émeute majeure secoue la ville de Drummondville et on en parle jusque de l’autre côté de l’Atlantique …Raconte-moi l’histoire par André Pelchat

En février 1945 une émeute majeure secoue la ville de Drummondville et on en parle jusque de l’autre côté de l’Atlantique …Raconte-moi l’histoire par André Pelchat
Photo: Théâtre Capitol, rue Lindsay, Drummondville, Source : Société d’histoire de Drummond, Fonds Lorne Cavell Elder; P181, D5, P8 / Vingt55. Tous droits acquittés

DRUMMONDVILLE

En février 1945 une émeute majeure secoue la ville de Drummondville et on en parle jusque de l’autre côté de l’Atlantique.

Les causes profondes de l’évènement remontent au début de la Seconde Guerre mondiale. À cette époque, le gouvernement canadien, désireux d’éviter de répéter la crise de 1918 qui avait divisé le pays et causé plusieurs morts, évite de parler de conscription mais l’effondrement de la France face à l’armée allemande en 1940 change la donne.  En juin de cette même année, le Premier Ministre William Lyon Mackenzie King fait adopter une loi obligeant les hommes de 18 à 40 ans à subir quatre mois d’entraînement pour servir au pays mais il n’est, en fait, pas encore question d’envoyer outre-mer autre chose que des volontaires.  À mesure que la guerre se prolonge les pressions se font plus intenses sur le gouvernement fédéral, pour qu’il impose la conscription.  En 1942, King organise un plébiscite pancanadien pour se libérer de la promesse qu’il avait faite  (aux Québécois seulement !) de ne pas imposer la conscription.  70% des Canadiens vont voter « oui », mais 80% des Québécois vont voter « non ».  Beaucoup de Québécois se sentent trahis par cette manœuvre. « La conscription si nécessaire, mais pas nécessairement la conscription » avait dit King et, de fait, il retardera autant que possible l’envoi de conscrits outremer. Mais, en 1944, après les débarquements en Italie et en Normandie où les troupes canadiennes subissent de lourdes pertes, le gouvernement juge qu’il n’a plus le choix et décide d’envoyer 16 000 conscrits outremer et dès janvier 1945, 13 000 partent pour la Grande-Bretagne. Beaucoup de jeunes hommes refusent de se présenter et la police militaire doit aller chercher les récalcitrants, qualifiés de « déserteurs ». Dans plusieurs villes, les choses s’enveniment.

Le 10 octobre 1944, deux prévôts (policiers militaires) arrivent à Saint-Joseph pour arrêter un certain Louis Letellier, membre d’un groupe identifié comme les « casques gris », formés de réfractaires à la conscription. Une foule entoure bientôt les deux agents, apparemment bien décidée à ne pas les laisser amener leur victime. Les deux prévôts jugent plus prudent de battre en retraite. C’est la deuxième fois que Letellier échappe à l’enrôlement. C’est une humiliation pour les autorités qui ne peuvent en rester là.

Aussi le 24 février 1945, une troupe d’une centaine de policiers, dans un convoi d’une vingtaine de camions et de trois automobiles, arrivent de Montréal. Ils sont commandés par l’inspecteur Frank Zaneth, de la GRC, un unilingue anglophone. Arrivés à Drummondville, ils se divisent en plusieurs détachements qui envahissent les lieux publics : débits de boisson, salles de billards, salles de quilles, restaurants, etc. Des centaines de personnes sont interpellés et doivent montrer leurs papiers. Une soixantaine sont arrêtés. Les choses vont s’envenimer lorsque les policiers interpellent des citoyens qui sortent du cinéma Capitol (ouvert depuis 1937), vers 23h40. Avec les spectateurs qui quittent la salle à ce moment, environ 800 personnes sont sur les lieux. Letellier était dans la foule mais on l’a prévenu de la descente prochaine. Selon certaines sources, le tuyau lui a été transmis par la police municipale… Les prévôts bloquent la circulation, arrêtent des véhicules et on rudoie un jeune homme qui refusait de s’arrêter. Deux ou trois jeunes hommes n’ayant pas de papiers sont jetés sans ménagement dans un camion. C’est là que la foule devient hostile. C’est bientôt 1 200 personnes qui envahissent la rue et bloquent les camions militaires.  Un camion des prévôts fonce dans la foule pour dégager la rue : personne n’est blessé mais il s’en faut de peu. C’est alors que quelqu’un (Louis Letellier lui-même, semble-t-il) crie : « On laisse-ty faire ça sans rien dire ? »  La foule se met à bombarder les policiers de projectiles divers et la bagarre s’étend sur la rue Heriot. Finalement, prévôts et agents de la GRC doivent battre en retraite sur la rue Marchand pour finalement se réfugier au QG de la GRC, puis quitter la ville.

Dans les jours suivant on s’attendait à une vive réaction des autorités fédérales. Or, seul un représentant du ministère de la Défense émit de vagues excuses. Il n’y eut ni représailles, ni enquête publique. Par contre les élus régionaux ne se gênèrent pas pour critiquer l’attitude des forces fédérales que le député provincial Robert Bernard compara à la « Gestapo d’Hitler ». Par contre on va ensuite parler de l’évènement jusque dans les journaux britanniques.  «Clash with troops in a Quebec town» sera le titre d’un article du Times de Londres du 5 mars suivant. Une publicité dont la ville se serait bien passée. Quoique cet acte de résistance à la brutalité policière par des citoyens peut aussi être vu comme un exemple de solidarité citoyenne…

André Pelchat
CHRONIQUEUR
PROFILE

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