En 1914 : la vente des « pouvoirs d’eau », une décision majeure prise à Drummondville…Raconte moi l’histoire Par André Pelchat

En 1914 : la vente des « pouvoirs d’eau », une décision majeure prise à Drummondville…Raconte moi l’histoire Par André Pelchat
Photographie illustrant la centrale hydroélectrique de Drummondville @ Crédit photo Eric Beaupré / Vingt55 Tous droits réservés.

DRUMMONDVILLE

En mai 1914, un référendum se tient à Drummondville pour décider d’une question qui divise les citoyens : la ville doit-elle vendre sa centrale hydro-électrique à l’entreprise privée ?  Le débat n’agite pas seulement Drummondville.

@ Crédit photo Eric Beaupré / Vingt55. Tous droits réservés.

À cette époque, les sources d’énergie hydro-électrique, au Québec, sont très majoritairement propriété privée. Seules quelques villes, dont Sherbrooke, Westmount et Drummondville ont « municipalisé » leurs centrales. Drummondville a acheté la sienne, située à hauteur des chutes Lord, près du pont de chemin de fer, à un entrepreneur privé en 1896. Presqu’immédiatement, la ville avait dû investir lourdement pour augmenter la production, ce qui affecte la rentabilité de la centrale.

On ne discutera pas, au Québec,  de « nationalisation » avant les années 1930. Contrairement à l’Ontario qui a étatisé sa production électrique depuis 1908. Ici la propriété publique des moyens de production, souvent vue comme « socialiste », n’a pas très bonne presse.

À Drummondville, le débat a commencé en février lorsque les élections municipales amenèrent au pouvoir un nouveau conseil de ville, et un nouveau maire, Alexandre Mercure, un industriel. Ce dernier, considérant que la centrale est déficitaire, affirme qu’il est temps pour la ville de s’en départir. Rapidement, une offre d’achat arrive de la Southern Canada Power, entreprise appartenant aux financiers McCuaig Brothers de Montréal mais originellement basée à Sherbrooke, étant la filiale de la compagnie de tramway de cette ville. La Southern prend progressivement le contrôle des ressources hydroélectriques dans le bassin de la rivière Saint-François. Elle deviendra rapidement une des quelques grandes compagnies qui se partagent les ressources hydroélectriques du Québec en une série de monopoles régionaux, avec la Shawinigan Water and Power, basée en Mauricie.

Le 24 avril 1914, le nouveau conseil adopte un règlement qui permet à la ville de vendre son « pouvoir d’eau » comme on disait à l’époque.

Toutefois, toute le monde n’est pas d’accord sur cette transaction.  On demande un référendum où les propriétaires (seuls citoyens à avoir le droit de vote au municipal à l’époque) pourront se prononcer.

On organise une « assemblée contradictoire » (nous dirions un débat public) pour permettre aux différents points de vue de présenter leurs arguments à la population. Elle se tient dans le sous-sol de l’église Saint-Frédéric le 10 mai 1914. Parmi la foule, on note la présence du député provincial de Saint-Hyacinthe, Théodore-Damien (T.D.) Bouchard, libéral.

Très critique sur l’influence des compagnies d’électricité et défenseur du pouvoir des municipalités, il est venu appuyer les opposants à la transaction.

D’emblée, le maire dépose un rapport démontrant que la centrale est déficitaire, coûtant 6 000$ par an à la municipalité (la « corporation » dans le langage de l’époque).  On lui réplique que son rapport est incomplet car il n’est fait nulle part mention du fait que la ville n’a pas à payer l’électricité produite par sa centrale alors qu’elle devra l’acheter à la Southern Canada Power une fois la vente effectuée.  Le maire réplique que la compagnie aura les moyens d’investir pour mettre en valeur la ressource hydro-électrique, ce qui dépasse les capacités de la ville.

Les esprits s’échauffent et la discussion tourne à l’engueulade, les arguments sont remplacés par des injures et les orateurs n’arrivent plus à se faire entendre. Finalement on doit mettre fin à l’assemblée dans un chaos quasi-total.

Nul doute qu’aujourd’hui les échanges d’insultes se poursuivraient sur les réseaux sociaux !

Finalement, la décision sera tranchée par le référendum qui se tient le 20 mai.

Le résultat de la consultation est sans appel : 104 votes pour la vente, 28 contre.

La ville va donc de l’avant et, dès juin, la transaction est conclue. La ville vend la centrale à la Southern Canada Power pour un montant de 41 000$ … en obligations de la compagnie. Le montant correspond à la valeur de la dette de la ville sur la centrale. « En pratique c’est comme si la ville finançait l’acquéreur! » écrira Robert Paré dans un article de la Société d’histoire de Drummond.  On peut se douter que plusieurs furent déçus d’une telle transaction mais on aura bientôt d’autres préoccupations : dès le début du mois d’août, l’Allemagne envahit la Belgique, ce qui entraîne une déclaration de guerre de la Grande-Bretagne à l’Allemagne et le Dominion du Canada s’y trouve automatiquement impliqué. La présence de la centrale hydro-électrique constituera un facteur important pour attirer ici des usines liées à la défense. Ce sera le début d’un essor industriel pour Drummondville.

La Southern Canada Power construira une nouvelle centrale aux chutes Lord en 1915 avec une capacité de 12 000 chevaux-vapeur, dont la capacité sera portée à 18 000 en 1920. Une nouvelle centrale sera construite en 1918 aux chutes Hemming.  La compagnie poursuivra son expansion le long de la rivière Saint-François, l’ensemble de ses installations totalisant plus de 100 000 chevaux-vapeurs en 1917.

En 2007, la centrale hydroélectrique de Drummondville est citée au Patrimoine canadien . sur le site de Patrimoine Canada on peut lire : « La valeur patrimoniale de la centrale hydroélectrique de Drummondville repose aussi sur son intérêt architectural. De style rationaliste, le bâtiment est représentatif du second type architectural qui caractérise les centrales hydroélectriques québécoises. »  On y signale aussi son intérêt pour l’histoire industrielle de Drummondville : « La création d’un réseau de distribution de l’électricité intégré par la Southern Canada Power Co permet à la région de développer son secteur industriel. La centrale de Drummondville constitue l’une des deux plus grosses centrales construites par la Southern Canada Power Co. Elle témoigne de l’importante contribution de cette compagnie dans l’électrification et le développement économique des municipalités du sud du Québec. »

La Southern Canada Power comptait 100 000 abonnés lorsqu’elle passe sous le contrôle d’Hydro-Québec en 1963, lors de la nationalisation de l’électricité, produit de la Révolution tranquille. Quant à Alexandre Mercure, il eût à gérer la ville en temps de guerre et ne se représenta pas en 1918.

Photographie illustrant la centrale hydroélectrique de la Southern Canada Power, Drummondville, [vers 1919]. (Société d’histoire de Drummond, Collection Abbé Jean-Noël Laplante  / Vingt55. Tous droits payés

Éric Beaupré
PHOTOREPORTER
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