« L’Enfant terrible » se porte à la défense des « squatters » à Drummondville…Raconte-moi l’histoire par André Pelchat

« L’Enfant terrible » se porte à la défense des « squatters » à Drummondville…Raconte-moi l’histoire par André Pelchat
Photo : Jean-Baptiste-Éric Dorion vers 1860 Société d’Histoire de Drummond, collection régionale, Dorion_C1.jpg

DRUMMONDVILLE

On connaît l’histoire des débuts de la colonisation dans la région de Drummond par les vétérans, majoritairement anglophones, du Régiment des Voltigeurs et de celui de Meuron. L’histoire de l’arrivée des Canadiens français dans la région est moins connue.  Elle ne s’est pas faite d’un seul coup mais progressivement… et souvent illégalement.

Au début du XIXe siècle, les terres situées en dehors de la zone divisée en seigneuries, le long du fleuve, avaient été pour la plupart données en concessions par le gouvernement à de grands propriétaires terriens, généralement anglophones et souvent groupés en compagnies et généralement amis du gouverneur. Théoriquement, ces propriétaires, qui n’habitent pas la région, doivent vendre ces terres à des colons. Cependant, ils n’ont aucun désir d’investir dans la construction des infrastructures nécessaires pour favoriser l’arrivée d’une population d’agriculteurs. De plus la Couronne ne s’occupe guère de les pousser à faire autrement. Qui plus est, les terres ainsi divisées ne sont pas bornées et beaucoup de gens pensent qu’il s’agit de terres publiques.

Aussi, lorsque, vers les années 1830, les seigneuries commencent à être surpeuplées, les habitants canadiens-français établis là-bas depuis près de deux siècles commencent à migrer vers ces immensités inoccupées, en suivant les cours d’eau, dont la rivière Saint-François. Pour la plupart, ils ignorent que ces terres ont des propriétaires privés et qu’ils sont ce qu’on appelle des « squatters », c’est-à-dire qu’ils occupent le sol illégalement. Selon un prêtre missionnaire, l’abbé Marquis, ces squatters auraient même constitué les trois quarts des colons dans les comtés d’Arthabaska et de Mégantic, pendant un certain temps.

Beaucoup d’entre eux, après avoir défriché la terre, construit leur maison, fait venir leur famille et même construit des chemins, des quais et fait d’autres investissements, auront la mauvaise surprise de voir apparaître un huissier leur apprenant qu’ils sont sur des terres privées et qu’ils doivent, soit partir, soit acheter la terre qu’ils occupent (et qui a pris de la valeur grâce à leur travail).  Toutefois, ces gens finiront par trouver un défenseur en la personne du député de Drummond-Arthabaska, Jean-Baptiste-Éric Dorion, dit « l’Enfant terrible ».

Le créateur du journal « Le Défricheur », en effet, a toujours pris au sérieux les intérêts des colons, en particulier ceux de la région. Dans Le Défricheur du 4 décembre 1862, il exposera la situation :  « Les terres incultes des comtés de Shefford, Drummond, Richemond (sic), Arthabaska et Mégantic auraient été peuplées longtemps avant nos jours, si elles ne fussent pas malheureusement presque en totalité tombées entre les mains du monopole (…) Tant que la terre ne produisit rien, ne valut rien et que les charges des voiries s’exécutaient, point de propriétaire connu. Mais aussitôt que la terre est défrichée, améliorée, les chemins ouverts, la connaissance malencontreuse ne se fait plus attendre et il faut passer par la porte de la cheminée, ou celle des tribunaux, ce qui ne vaut guère mieux pour le pauvre homme. » .[i] Il donne l’exemple d’un cultivateur de Stanfold (Princeville), condamné un tribunal de Trois-Rivières à abandonner la terre qu’il avait défriché depuis vingt ans et où il avait élevé sa famille, sans aucune indemnité. Le juge lui précisa qu’il pouvait toutefois, « amener sa maison et sa grange ». « Je vais les mettre où, votre honneur ? » s’exclama le pauvre homme. Et Dorion de conclure : « C’est la justice ordinaire des grands vis-à-vis des petits. »

À l’Assemblée législative du Canada-Uni, il se fait le promoteur d’un « bill des squatters, projet de loi qui vise à régulariser la situation des colons en reconnaissant leur droit de propriété sur les terres déjà défrichées. Le Conseil Législatif, équivalent du Sénat actuel, rejeta toutefois le projet en 1857 malgré l’appui de l’Assemblée.  Une loi de 1856 instaurait un Conseil législatif partiellement élu mais les membres nommés précédemment restaient en place. Le Courrier de St-Hyacinthe nota cependant que sur 9 Conseillers législatif nouvellement élu, 7 avaient approuvé la mesure. Il conclut « Ce résultat n’est rien moins que propre à encourager le courageux député de Drummond et Arthabaska a revenir à la charge dès que l’occasion s’en présentera ».  Néanmoins, le Conseil, formé largement de grands propriétaires,  bloquera de nouveau la loi en 1862.

Dorion persévère dans sa lutte mais il n’en verra pas la fin : il meurt en 1866.  C’est après la Confédération que la Province de Québec légifèrera pour permettre aux squatters de faire une demande au Ministère de la Colonisation pour faire reconnaître leurs titres de propriétés.

 

André Pelchat
CHRONIQUEUR
PROFILE

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