DRUMMONDVILLE
Usine de la Dominion Silk and Dying Company © Crédit photo : André Pelchat / Eric Beaupré Vingt55. Tous droits réservés
En 1919, Drummondville est encore à peine plus qu’un village avec 4 000 habitants. Toutefois, les bases d’une transformation radicale ont été jetées lorsqu’en 1914, la Southern Canada Power a acquis les droits d’exploitation hydroélectrique du bas de la rivière Saint-François. En 1919, une centrale est construite aux chutes Lord. Une source d’énergie est maintenant disponible pour ceux qui voudraient implanter des industries et, la même année, la Butterfly Hosiery commence à fabriquer des bas de soie et emploie bientôt 50 travailleurs et ira jusqu’à 300 dans les années qui suivent.
Dès l’année suivante, une autre entreprise, la Jenckes Canadian Tire Fabrics Company Limited entreprend la construction d’une usine de 4 étages destinées à la fabrication de toile à pneu. En 1923, la Dominion Silk and Dying Company débute ses opérations dans une usine flambant neuve située près de la rivière Saint-François. Propriété de la National Silk Dyeing Compagny, située au New Jersey, l’entreprise fait la teinture de divers tissus. Mais le virage textile se prend réellement à partir de 1929 quand la Dominion Textile achète cette usine.
La Dominion Textile n’en est pas à ses premières armes. Cette entreprise s’est formée en 1890 sous le nom de Dominion Cotton Mills Company, par l’union de 8 petites usines de textiles décidant de mettre en commun leurs ressources pour devenir plus compétitives. Leurs affaires, à ce moment, se faisaient surtout avec la Chine mais, en 1900 une grande révolte anti-étrangère en Chine dite « révolte des Boxers » perturba sérieusement ce lucratif marché. Pour éviter la ruine, la Dominion Cotton Mills, qui avait déjà des usines dans plusieurs provinces canadiennes, fusionna en 1905 avec d’autres entreprises pour former la Dominion Textile Company Limited. Le premier président était le financier montréalais David Yuile mais c’est son successeur, Charles B. Gordon qui dirigea l’expansion de la nouvelle entité. La succursale de Drummondville portera le nom de Drummondville Cotton Company Limited.
L’usine connaît bientôt une rapide expansion et doit s’agrandir deux fois en 1930 et 1937, une création d’emplois bienvenue en ces années de crise économique. Elle se diversifie aussi et produit des filets de pêches et des cordes. Avec l’entrée en guerre du Canada en 1939, la demande pour les fournitures militaires explose et l’usine de Drummondville fabrique des cordages destinés à la fabrication des pneus en caoutchouc des véhicules militaires. Deux ans plus tard, 60% de la production est destinée à l’effort de guerre.
En 1945, 2 000 personnes travaillent à la Drummondville Cotton Company Limited.
Entretemps d’’autres compagnies de textile sont venues s’installer à Drummondville, attirées par la présence d’une main d’œuvre déjà formée et la disponibilité de l’électricité, la Southern Canada Power ayant augmenté sa production de 50 000 chevaux-vapeur en 1930. Ce sont la Louis Roessel en 1924 (tissu de soie naturelle) Canadian Celanese en 1926, immense usine de fabrication de rayonne (soie artificielle) Dennison Manufacturing et la Holtite Rubber dès 1930, suivies de la Eagle Pencil en 1931, de la Corona Velvet en 1933, de la Eastern Paper Box en 1935, de Flax Industries en 1941 et de la Sylvania Electric en 1949. À cette époque 80% de la main-d’œuvre drummondvilloise travaille dans l’industrie du textile et, en 1960, la ville (surnommée maintenant Ville de la Soie) atteint 40 000 habitants, soit dix fois sa population de 1919 !
Certains tirent déjà l’alarme sur la dépendance de la ville à un seul type d’industrie : Dès 1942, L’Homme libre (journal publié de 1940 à 1963) écrit : « Que Canadian Celanese et Drummondville Cotton ferment leurs portes aujourd’hui, et demain, Drummondville est réduite à une population de village. » Mais, pour l’instant, les principales critiques dirigées contre l’industrie textile se concentrent surtout sur ses salaires, jugés faibles. Il faut dire que, à partir des années 60, la concurrence internationale dans le domaine s’intensifie avec l’émergence de nouveaux pays industriels où les revenus sont très inférieurs aux standards nord-américains. L’industrie textile est donc découragée d’augmenter les salaires. Et des signes inquiétants se manifestent. En 1965, la production de filets de pêche est abandonnée face à la concurrence. L’insatisfaction des travailleurs conduit à plusieurs grèves en 1934, 1940, 1948 et, un conflit de travail majeur en 1966, qui durera six mois. Il sera d’ailleurs le prétexte au seul attentat à la bombe du FLQ à Drummondville la même année.
Mais, à cette époque, l’industrie textile québécoise est entrée dans son déclin. On embauche de moins en moins et les mises à pied se multiplient. Dans les années 1970, des programmes fédéraux protectionnistes, limitant les importations de textiles étrangers, protègent un temps les usines locales de la concurrence mais on entre bientôt dans l’ère du libre-échange à partir des années 1980 et ces programmes ne seront pas renouvelés.
Déjà les effets négatifs du contexte mondial se font sentir et, dès les années 1980, les mises à pied se succèdent, causées par un ralentissement des activités industrielles. Les salaires stagnent et Drummondville prend la pleine mesure des conséquences de dépendre uniquement d’investissements extérieurs pour son développement.
Dès 1982, le magazine L’Actualité parlait de Drummondville comme d’une « ville à l’agonie ». Pour le textile c’est déjà le début de la fin : dès les années 1980, la Dominion Textile ferme la plupart de ses succursales au Québec même si elle modernise son usine de Drummondville. La compagnie elle-même est vendue à une entreprise américaine et ferme définitivement en 2006. Elle n’avait plus que 150 employés. La Celanese ferme ses portes en 2000, suivant de près la fermeture de sa filiale Monterey. Les autres usines textiles prennent bientôt le même chemin.
Pourtant les sinistres prévisions de L’Actualité ne se réaliseront pas : Non seulement Drummondville « n’agonisera » pas mais elle connaîtra une forte croissance dans les années 1990 et 2000, portée, cette fois, largement par l’entreprenariat local.
L’industrie textile peut paraître faire partie d’une autre époque mais elle a néanmoins porté la croissance de Drummondville pendant près de 60 ans.
Usine de la Dominion Silk and Dying Company © Crédit photo : André Pelchat / Vingt55. Tous droits réservés