Octobre 1970 : la loi des mesures de guerre frappe à Drummondville aussi… Raconte-moi l’histoire par André Pelchat

Octobre 1970 : la loi des mesures de guerre frappe à Drummondville aussi… Raconte-moi l’histoire par André Pelchat
Octobre 1970, la loi des mesures de guerre frappe à Drummondville @ Crédit photo Pour la photo : coupures du journal "Le Nouvelliste" de Trois-Rivières, d'octobre 1970. Montage : André Pelchat / Vingt55 Tous droits réservés.

DRUMMONDVILLE

Quand une autre cellule du FLQ enlève le ministre québécois du Travail et de l’Immigration, Pierre Laporte quelques jours plus tard, la tension monte d’un cran. Des manifestations d’appui au FLQ ont lieu, surtout à Montréal, ponctuées de slogans et de déclarations parfois carrément irresponsables. Simultanément, le gouvernement fédéral, à la demande de celui du Québec, déploie 12 500 soldats à travers la province, pour garder les lieux publics et les résidences de certaines personnalités publiques, la loi des mesures de guerre frappe aussi à Drummondville.

Puis, invoquant l’existence d’une prétendue « insurrection appréhendée », dans la nuit du 15 au 16 octobre, le gouvernement du Premier ministre Pierre Elliott Trudeau, proclame la Loi des Mesures de Guerre. Cette loi, créée pour la Première guerre mondiale, suspend toutes les garanties constitutionnelles et les limites au pouvoir de l’État fédéral. Dès 5 heures du matin, 497 personnes sont arrêtées sans mandat. La plupart d’entre elles n’ont aucun lien avec le FLQ mais seront détenues pendant des durées allant de quelques jours à six mois. La très grande majorité seront relâchées sans qu’aucune accusation ne soit portée contre elles. Toujours sans mandat, 36 000 perquisitions sont effectuées, souvent accompagnées de vandalisme, parfois avec les personnes réveillées aux petites heures du matin à la pointe des mitraillettes. Personne ne sera arrêté à la suite des perquisitions.  Cette vague d’abus de pouvoir n’épargnera pas notre région.

Selon Le Nouvelliste, de Trois-Rivières, du 19 octobre 1970, la Sûreté du Québec effectua le samedi précédent une descente au Café Étudiant de Drummondville, où se trouvaient une cinquantaine de personnes pour une soirée de poésie. On y cherchait apparemment de la littérature « subversive »… qu’on ne trouva pas. Le journal ajoute, d’un ton quelque peu paternaliste : : « Rien ne fut trouvé sur les lieux mis à part les textes des poètes présents les affiches « standards » qu’on trouve partout où il y a des jeunes. Ces derniers en furent quittes pour une bonne frousse et le travail des policiers ayant été vite fait, tout est rentré dans l’ordre. »

Le journal trifluvien ne mentionne pas d’arrestations à Drummondville mais, selon l’étude « Démesures de guerre », publiée en 2020 sous la direction d’Anthony Beauséjour, au moins trois personnes ont été arrêtées à Drummondville, soit messieurs Blaise Daigneault, identifié comme « membre du Parti québécois », Pierre Desfossés et Pierre Mélançon, enseignants.  Le Nouvelliste mentionnait en revanche qu’à Victoriaville : « Du côté de la Sûreté du Québec, le caporal Fernand Pépin nous laissait savoir en fin d’après-midi que les militaires cantonnés à Victoriaville avaient procédé à l’arrestation de quelques individus. Le caporal Pépin ne pouvait pour l’instant nous donner plus de détails concernant ces arrestations. » Selon « Démesures de guerre » deux personnes furent arrêtées à Victoriaville, soit messieurs Michel Dumont et Richard Langelier.

La Parole du 28 octobre signale, dans un entrefilet en page 13, qu’aucune accusation contre les personnes arrêtées à Drummondville n’a été portée. Les deux enseignants, M. Desfossés et Mélançon affirment d’ailleurs dans le même article, n’être liées « ni de près, ni de loin, au FLQ ni à aucun mouvement subversif » et ajoutent qu’ils n’hésiteront pas à poursuivre en justice ceux qui soutiendraient le contraire. Signalons que le journal local, qui avait publié de longs textes d’opinion appuyant le gouvernement, n’avait, jusque-là, pas publié une ligne sur l’arrestation des trois drummondvillois.

Finalement, sur les 497 personnes arrêtées dans l’ensemble du Québec, 435 seront libérées sans qu’aucune accusation ne soit portée, même si leur libération a attendu jusqu’à 21 jours.  En tout 62 personnes seront accusées et sur ce nombre 44 seront acquittées ou verront les poursuites abandonnées. Sur celles qui restent 18 seront effectivement condamnées à des peines variant de deux mois à deux ans de prison. Seul le militant Michel Viger recevra une peine de 8 ans pour avoir hébergé chez lui trois des ravisseurs de Pierre Laporte. Treize des accusés étaient effectivement membres du FLQ. Les cinq autres ont été condamnés pour avoir soutenu verbalement ou par écrit le FLQ, ce qui n’était pas illégal au moment des faits mais que la Loi des Mesures de Guerre a rendu tel de façon rétroactive.  Donc 3,6% des personnes emprisonnées ont été effectivement condamnées.  Tout ça pour ça, pourrait-on dire.

André Pelchat
CHRONIQUEUR
PROFILE

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