Un manque de communication a mené au décès de Clément René, 67 ans, à l’Hôpital Sainte-Croix Drummondville

Un manque de communication a mené au décès de Clément René, 67 ans, à l’Hôpital Sainte-Croix Drummondville
© Photo Éric Beaupré Vingt55. Tous droits réservés.

DRUMMONDVILLE

C’est du moins la conclusion à laquelle le coroner Yvon Garneau fait référence dans son rapport rendu public à la suite du décès de Clément René survenu le 25 juillet 2018 à l’hôpital Sainte-Croix de Drummondville.

Clément René est décédé probablement des suites d’une asphyxie reliée à l’absence d’un dispositif de pression respiratoire positive BiPAP®, appareil qui aurait dû être installé sur le patient à son arrivée, selon le rapport, mais qui, dans une série de communications et échanges entre l’infirmière auxiliaire, l’assistante infirmière, l’inhalothérapeute et la conjointe de M. René, l’appareil ne fut jamais installé et est demeuré sans réel suivi.

Selon le rapport et différents experts consultés, le décès aurait été évité par la présence du BiPAP®, tel que prévu à l’admission du patient.

Ce drame a forcé le CIUSSS Mauricie/Centre-du-Québec à établir un encadrement plus clair dès la prescription ou la surveillance dans un cas semblable en mettant aussi en place une meilleure collaboration interprofessionnelle. Le coroner Garneau recommande aussi aux ordres professionnels des inhalothérapeutes, des infirmières et même des médecins, de revoir leurs procédures en tel cas.

Selon le rapport, M. René avait été référé à l’urgence par son médecin de famille vers 19h10. M. René est arrivé aux urgences quelques minutes plus tard présentant quelques symptômes, en raison d’une fièvre et de problèmes cardiaques. M. René présentait également des problèmes de santé connus, soit la sclérose latérale amyotrophique.

Le coroner Yvon Garneau commente en entrevue au Vingt55

‘’On souhaite qu’avec ce rapport, la zone d’ombre sera éclaircie pour de bon et que ceux qui sont affectés à une tâche le demeurent et laissent donc les autres, comme les infirmières, faire leur bon travail habituel et ne pas avoir à se surcharger.’’

Malgré le triste sort qui a été réservé à M. Clément René, j’ai eu le privilège d’avoir de bons contacts avec la famille, qui se dit toujours dans un deuil très difficile à faire dans les circonstances. « Vous comprendrez qu’elle ne commentera pas le décès de M. René’ », a fait savoir au nom de la famille, le coroner Garneau.

Fort heureusement, depuis l’événement fatal, on peut dire que les services professionnels de la Direction des soins infirmiers ainsi que la Direction des services multidisciplinaires ont été consultés. Ainsi, ils ont pu dégager les meilleures pratiques et valider la présence de documentation encadrant l’utilisation de ce type d’appareil au CIUSSS MCQ, fait savoir le coroner Garneau.

Rapport complet rendu publique

René était âgé de 67 ans. Il était connu pour hypertension artérielle, hypothyroïdie, sclérose latérale amyotrophique (SLA), hyperplasie bénigne de la prostate et maladie cardiaque artériosclérotique (MCAS) avec infarctus en 2006 et prothèse endovasculaire installée en 2006 (STENT) et enfin, utilisation du BiPAP ® (Bi-level Positive Airway Pressure).

Le 24 juillet 2018, vers 19 h 10, référé par son médecin de famille, M. René est arrivé aux urgences, fiévreux, tachycarde et dyspnéique. Il a aussitôt été mis sous soluté antibiotiques avant d’être transféré à l’unité de médecine générale le même jour où on lui diagnostique un sepsis sur foyer urinaire plus ou moins pulmonaire. Au dossier médical, il est indiqué niveau de soins 2 (correction de toute détérioration jugée réversible par des moyens proportionnels avec restriction pour certains traitements).1 Toujours au moment de l’admission, le patient est visiblement un usager de l’oxygène à 2 L/minute. Comme on prévoit qu’il passera la nuit hospitalisé, la conjointe apporte le BiPAP® de la maison sur recommandation expresse de l’inhalothérapeute.

1 Les niveaux de soins sont un outil qui facilite la communication entre les soignants, les patients et leurs proches sur les objectifs de soins en contexte de maladies graves et de fin de vie, afin que les soins médicalement recommandés puissent être adaptés le mieux possible aux volontés des personnes soignées.

Les soins offerts sont ainsi perçus comme les meilleurs, car porteurs de sens pour le patient, les proches et l’équipe soignante.

À 19 h 30, aux urgences, c’est justement ce même inhalothérapeute qui avait évalué

René, lequel ne présentait rien de particulier à ce moment, excepté le fait qu’il portait sa lunette nasale à 2 L/min. Ce professionnel de la santé avait alors expliqué à l’infirmière de cette unité qu’il préférait que M. René porte son propre ventilateur parce que ce dernier est somme toute « configuré » pour lui. Il n’y a pas de suivi qui est noté au dossier par cet inhalothérapeute par la suite.

À 21 h 50, l’usager est admis à sa chambre avec un diagnostic de fièvre sur SLA. À ce moment, l’infirmière auxiliaire demande à l’assistante infirmière:« Qui donc va s’occuper de l’installation de l’appareil de ventilation que doit porter M. René ? » Et, pour toute réponse, on lui dit que ce sont les inhalothérapeutes qui s’en chargent. Malgré cela, aucun appel n’est fait aux inhalothérapeutes de la part de ces deux dernières intervenantes; la conjointe venait de leur offrir de l’installer elle-même (elle le fait chaque soir), proposition qui est restée sans effet.

Entre 23 h et minuit, M. René sonne à deux reprises pour se faire réinstaller dans son lit.

Lors de son deuxième appel, il confie à une préposée aux bénéficiaires (PAB) qu’il attend toujours que son BiPAP® soit mis en place par l’inhalothérapeute. Cette PAB transmet aussitôt l’information (la demande du patient) à l’infirmier responsable.

À minuit le 25 juillet, il repose au lit, yeux clos et semble dormir; on observe une bonne amplitude respiratoire avec oxygène ajusté à sa lunette nasale. La sonde vésicale est en place et les observations de l’infirmière qui débute son quart de nuit sont faites.

À minuit trente, la PAB s’est rendue au chevet de M. René qui rappelle qu’il attend l’installation du BiPAP® par l’inhalothérapeute. La PAB, encore une fois, transmet cette information (demande du patient) à l’infirmière en précisant que l’usager attend l’installation de l’appareil par ce spécialiste des ventilations.

À 1 h, M. René est vu en décubitus latéral droit (allongé sur le côté en position horizontale), yeux clos, semble dormir à la visite de l’infirmière.

À 1 h 30, l’infirmière a constaté que le BiPAP® n’est pas encore en fonction et avise de ce fait, l’infirmière assistante. Toutes deux ont vérifié au dossier s’il y avait une raison ou encore une contre-indication à la non-installation du BiPAP®.

À 1 h 40, un appel est fait à l’inhalothérapeute afin que le tout soit installé.

À 1 h 50, l’inhalothérapeute est arrivé au chevet de M. René.

À 1 h 52, l’inhalothérapeute a alarmé tout le personnel (équipe soignante) à l’aide d’une cloche d’appel parce qu’elle vient de constater que M. René ne respire plus. Aucune manœuvre de réanimation n’est faite à cause du niveau de soins 2  C’est l’heure à laquelle l’arrêt des signes vitaux est noté et suivi d’un constat de décès officiel fait par un médecin à 8 h 45, le 25 juillet 2018.

À 2 h, la conjointe a été appelée à se rendre à l’hôpital pour apprendre la mauvaise nouvelle. Le coroner est avisé de ce décès et prend avis. Une investigation est aussitôt amorcée.

Examen externe, autopsie et analyse toxicologiques

Un examen externe a été fait le jour même au département de pathologie de l’Hôpital Sainte-Croix à Drummondville. Il a mis en évidence l’absence de lésion contributive au décès.

Une autopsie a été faite aussi le jour même et au même endroit. Dans son rapport, le pathologiste a décrit un ensemble de pathologies affectant M. René mais qui ne lui permettait pas d’orienter son diagnostic vers une cause anatomique précise de décès.

 Par contre, le spécialiste tient compte du contexte spécial dans lequel s’est retrouvé M. René pour pouvoir envisager un décès par asphyxie relié à l’absence d’un dispositif de pression respiratoire positive (BiPAP®). À l’examen interne qu’il a fait, le médecin note toutefois qu’aucune lésion anatomique ne permettait d’infirmer ou de valider cette hypothèse de façon certaine. Mise à part la pyélonéphrite aiguë bilatérale qu’il a détectée, le pathologiste cite une maladie cardiaque artériosclérotique sévère pouvant aboutir sur un décès subit d’origine coronarien sous réserve de corrélation à faire avec tous les éléments de mon investigation. Aucune autre lésion contributive au décès n’a été observée.

Des analyses toxicologiques ont été pratiquées au Centre de toxicologie de l’Institut national de santé publique du Québec. La présence de médicaments d’ordonnance sans aucune relation avec le décès a été détectée. Aucune autre substance n’a été détectée.

Analyse

Selon les données recueillies en cours d’investigation, dans son dossier médical, des discussions avec la famille, celles rapportées par le service de la gestion intégrée des risques et prestation sécuritaire des soins et services, une faille importante au niveau de la communication entre les différents professionnels ainsi qu’une ambigüité quant aux rôles et responsabilités de chacun ont été relevées. L’ensemble des déclarations recueillies sur les circonstances de l’évènement ont mis en lumière des lacunes importantes.

Après avoir demandé assistance auprès d’une conseillère cadre du Centre intégré universitaire de santé et de services sociaux de la Mauricie-et-du-Centre-du-Québec (CIUSSS MCQ), cette dernière m’a affirmé que la situation particulière de M. René a fait prendre conscience à tous que l’utilisation des appareils personnels à pression positive non intrusive n’était pas encadrée dès le moment de la prescription ou de la surveillance associée. Des mesures seront mises en place en cours d’année pour qu’il existe une collaboration interprofessionnelle permettant de corriger ce qui, malheureusement, a conduit à un décès évitable selon elle.

En effet, en révisant le dossier médical ensemble, on réalise que l’analyse de l’évènement a permis de déterminer la cause du décès, la plus vraisemblable compte tenu de toutes les circonstances. Une évaluation avait été faite et laissait comprendre que M. René devait avoir son appareil d’aide à la respiration. Je suis en accord avec l’opinion exprimée par le personnel cadre du CIUSSS MCQ à l’effet que ce décès était évitable et, par conséquent, je peux conclure à un décès accidentel comme l’a suggéré le pathologiste qui laissait au coroner la tâche de le confirmer après avoir considéré tous les éléments de l’enquête.

L’autopsie ne révélant aucune cause de décès, l’explication de l’asphyxie s’avère la plus plausible et ne peut être exclue. Durant l’investigation, la question s’est posée à savoir si M. René serait décédé s’il avait eu son appareil BiPAP® et la réponse a été négative.

La gestion des appareils respiratoires en centre hospitalier est complexe si on en juge les propos tenus par des spécialistes dans le domaine (conversations avec le coroner).

Tous conviennent que le syndrome d’apnée du sommeil est répandu dans notre société. Différents appareils plus sophistiqués les uns que les autres sont disponibles sur le marché. Je suis d’avis, comme c’est le cas pour d’autres coroners, que seul l’inhalothérapeute devrait assister la clientèle O2 dépendante qui nécessite l’utilisation de tels appareils. Ceci aurait le mérite de dégager entre autres, les infirmières soignantes qui pourraient être dédiées à d’autres tâches.

Je vais donc m’adresser, à l’occasion de la présente investigation, à l’Ordre professionnel des inhalothérapeutes du Québec (OIPQ) car sa mission est d’assurer la protection du public.

Pour ce faire, elle supervise l’exercice de la profession selon les normes établies et des standards élevés de pratique. Il favorise de plus le développement professionnel, le maintien et l’actualisation des compétences de ses membres pour offrir des soins sécuritaires et de qualité. L’Ordre tient également un rôle central en prévention de la maladie cardiorespiratoire. Quant au Collège des médecins, il sera lui aussi interpellé par le présent rapport au motif que le médecin est responsable des prescriptions en la matière. Il est important que le présent cas serve à prévenir d’autres manquements possibles dans l’enchainement des activités de soins à prodiguer à un patient atteint d’une maladie respiratoire.

L’Ordre des infirmières et infirmiers du Québec (OIIQ) devra à tout le moins informer ses membres de l’évènement qui est survenu le 25 juillet 2018 au département de médecine générale en diffusant auprès de ses membres le présent rapport.

Un plan d’action précis en ce sens sera réalisé au cours de la prochaine année. Il s’agit des actions suivantes :

– Préciser les moyens de communication à utiliser afin d’assurer la continuité des soins en s’assurant que toutes les interventions sont effectuées;

– Clarifier le rôle et responsabilité des différents intervenants lors de l’installation et la surveillance des appareils BiPAP et CPAP;

– Discuter avec les gestionnaires des autres RLS des capsules d’information afin de transmettre les informations aux professionnels visés du CIUSSS MCQ;

– Valider et assurer le suivi des demandes auprès des intervenants interpellés;

– Formaliser les rapports inter-quart sur les unités de soins;

– Rappeler aux équipes l’importance du transfert d’informations aux points de transition en respectant la procédure associée;

– Revoir la pertinence d’inclure l’information concernant les usagers porteurs d’appareils BiPAP et CPAP, même lorsque la prise en charge n’est pas officielle, au rapport inter-quart des inhalothérapeutes;

– Encadrer l’utilisation et la surveillance de ce type d’appareil en précisant les rôles et responsabilités de chacun des professionnels impliqués dans la trajectoire de soins et services de l’usager (à domicile et en installation (CH ET CHSLD)).

De toute façon, faut-il le répéter, l’utilisation de ces appareils est de plus en plus fréquente.

Une des particularités est que le médecin spécialiste prescrit et ajuste les paramètres du BiPAP et, m’a-t-on fait remarquer chez les médecins, aucun document n’est remis au patient.

Donc, à l’arrivée de ce dernier à l’hôpital, les médecins en charge et tout le personnel soignant se trouvent dans l’impossibilité de valider si l’appareil est en bon état de fonctionnement. C’est là l’une des raisons qui m’incite à interpeller l’ensemble des médecins dans mes recommandations. En même temps, il est impératif pour les professionnels de la santé de s’assurer de bien connaître les paramètres de ce type d’appareil. Autrement, ils doivent, à l’heure actuelle, se fier au jugement de l’usager.

Pour prendre une simple comparaison, cette situation est comme le contraire d’une ordonnance médicale quand le patient arrive à l’hôpital avec sa prescription en main (profil de la pharmacie). Dans ce cas, le médecin est en mesure d’ajuster le dosage d’un médicament ou, à tout le moins, d’être renseigné sur les indications claires faites par un collègue. Ce serait la base d’une discussion à venir si l’on veut éviter qu’une bévue ne survienne encore dans les mêmes circonstances du présent cas.

Par ailleurs, il est urgent d’agir pour certaines situations bien précises et j’en ferai des recommandations. D’autre part, je rappelle qu’il n’est pas dans le mandat du coroner d’examiner la conduite de professionnels impliqués dans les soins d’une personne dans un établissement de santé. Il existe des organismes dont c’est précisément le mandat.

Conclusion

  1. Clément René est décédé probablement des suites d’une asphyxie reliée à l’absence d’un dispositif de pression respiratoire positive BiPAP®.

Il s’agit d’un décès accidentel.

Recommandation du coroner

Le coroner Yvon Garneau recommande à l’Ordre professionnel des inhalothérapeutes du Québec de prendre connaissance du présent rapport et de le diffuser par la suite à tous ses membres;

Il recommande à l’ordre des infirmières et infirmiers du Québec d’évaluer la qualité des soins infirmiers prodigués à M. Clément René les 24 et 25 juillet 2018 à l’Hôpital SainteCroix;

Recommande à l’ordre des infirmières et infirmiers auxiliaires du Québec d’évaluer la qualité des soins infirmiers prodigués à M. Clément René les 24 et 25 juillet 2018 à l’Hôpital Sainte-Croix;

Recommande au Conseil des médecins, dentistes et pharmaciens CIUSSS MCQ de revoir le dossier de M. Clément René pour les évènements survenus les 24 et 25 juillet 2018, afin de prendre les actions appropriées;

Recommande au CIUSSS MCQ de confier immédiatement la gestion de la totalité des appareils respiratoires chez les patients oxygénodépendants aux inhalothérapeutes;

Recommande au CIUSSS MCQ que les appels d’assistance de la part des clients hospitalisés soient relayés de façon compétente lorsqu’il s’agit d’appareils de type Bi-PAP

 

Éric Beaupré
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