Été 1833, l’histoire de l’orpheline mystérieusement disparue à Drummondville …Raconte-moi l’histoire par André Pelchat

Été 1833, l’histoire de l’orpheline mystérieusement disparue à Drummondville …Raconte-moi l’histoire par André Pelchat
À l’été 1833, une grande battue est organisée dans les environs de Drummondville pour retrouver une petite fille, Mary Victoria Mahon @ Raconte-moi l'histoire par André Pelchat / Vingt55 Tous droits réservés.

DRUMMONDVILLE

Dans son livre « L’Avenir », l’historien Joseph-Charles Saint-Amant raconte un fait divers arrivé dans les débuts de la colonisation de la région. Elle concerne le curé missionnaire Hubert Robson, dont j’ai déjà parlé dans ces pages mais elle n’a rien à voir avec les « miracles » qu’on lui a attribué.

À l’été 1833, une grande battue est organisée dans les environs de Drummondville pour retrouver une petite fille, Mary Victoria Mahon, mystérieusement disparue.  La petite fille, àgée d’un peu plus de cinq ans, est orpheline depuis la mort de son père, Peter Mahon, tailleur de métier à St-Hubert-de-Tingwick.

Elle était arrivée à Drummondville avec le missionnaire Robson, dont j’ai déjà parlé dans cette chronique. Robson avait rencontré la fillette durant sa mission à St-Hubert-de-Tingwick. Mary était accourue vers lui alors qu’il lisait son bréviaire pour lui dire de venir d’urgence au chevet de son père qui se mourait. Le prêtre la suivit dans « un sentier tortueux, presqu’impassable » jusqu’à une cabane en bois rond où Peter Mahon, visiblement mal en point, gisait couché sur un lit en branche de sapins. Robson lui donna les derniers sacrements. On ignore la cause de son état mais le tailleur décéda quelques jours plus tard. Il y avait à peine deux ans qu’il était arrivé d’Irlande.

Cependant, avant le décès du colon, Robson lui avait promis de s’occuper de sa fille Mary Victoria, ayant été  « frappé par l’intelligence et les connaissances de sa jeune guide » selon l’historien St-Amant.  Toutefois, Robson était déjà ailleurs dans sa tournée de missionnaire lorsqu’il apprit que Peter Mahon était mort et que sa nombreuse famille avait été dispersée étant donné que la mère n’avait pas les moyens de la supporter (On était avant la DPJ et les services sociaux, même avant l’établissement du réseau de communautés religieuses qui allait en tenir lieu jusqu’aux années 1960).  Il s’enquit de la jeune Mary Victoria et apprit (Ô Horreur!) qu’elle avait été confiée à… un ministre protestant ! Celui-ci habitait « sur le chemin de Sherbrooke, probablement à Windsor Mills. »

Pour le curé Robson, il fallait agir avant que cet hérétique la conduise sur le chemin de l’enfer en lui faisant abandonner sa foi catholique : « Effrayé des dangers que l’âme de cet enfant allait courir, M. Robson se rendit auprès du ministre pour réclamer sa protégée. » Apparemment le ministre « qui avait déjà une famille nombreuse », mis au courant de la promesse du curé au père mourant de la fillette, ne fit pas de difficulté à la remettre entre les mains du « papiste ».

Il fut convenu qu’à une date prédéterminée, le « stage » (diligence) qui faisait le trajet de Sherbrooke au Port St-François (Drummondville) amènerait la jeune fille. Le jour dit, au mois de juillet, elle débarqua donc de la diligence et se dirigea vers le presbytère, avec pour tout bagage, « quelque linge enveloppés dans une pièce de coton ». Quand Mary Victoria arriva chez le curé, celui-ci était absent, parti rencontrer une famille qui pourrait l’adopter. La servante du curé ouvrit et la fit entrer. Poursuivant ses tâches quotidiennes, la dame laissa l’enfant seule dans la cuisine.

Mais voilà : quand le curé est de retour, on ne trouve plus la moindre trace de la petite fille !  Ne reste que son maigre bagage.

Des fouilles sont organisées pour retrouver la petite fille. Aucune trace d’elle dans le village. Des perquisitions dans les domiciles on passe aux battues en forêt, jusqu’à Grantham et Wendover. On ne trouve aucune trace de la petite fille.

On imagine le pire mais, quelques semaines plus tard, des chasseurs signalent avoir rencontré, sur les bords de la rivière Nicolet, une femme à l’air hagard accompagnée d’une petite fille « alerte, mais amaigrie par la fatigue et la faim». À la demande de la femme, les chasseurs les avaient aidées à traverser la rivière. Il n’y a pas de réseaux sociaux à cette époque mais les commérages en sont un bon substitut. On signale la disparition d’une femme que nous dirions aujourd’hui atteinte d’une maladie mentale mais que l’on qualifie alors simplement de « pauvre folle ». On se demande si elle ne serait pas la femme aperçue avec la fillette.

Toutefois, les recherches seront vaines et le curé Robson devra se résigner : Mary Victoria Mahon semble bien disparue de la surface de la terre. Il sera plus tard transféré à la cure de Saint-Raymond de Portneuf et c’est là qu’ il reçoit une lettre en provenance de Saint-Antoine-de-Tilly et signée de la main de … Mary Victoria Mahon !

Robson part aussitôt pour Saint-Antoine, où il rencontre le curé du lieu, M.  Louis Proulx. Celui-ci lui raconte comment la fillette est apparue un beau matin, accompagnée d’une « pauvre idiote » près d’un moulin à farine construit à l’orée du bois. Les deux étaient passablement mal en point, épuisée et affamée. La fillette, en particulier, « faisait pitié. La folle, que l’on supposait être sa mère, la maltraitait sans cesse. ». Plusieurs cultivateurs se trouvaient sur place, venus faire moudre leur grain. L’un d’eux, un certain de Sévigny, n’ayant pas d’enfant, décida d’adopter l’enfant et convainquit la « folle » de la lui confier. Le dialogue se fit « à force de geste » car ni l’une ni l’autre ne comprenait le français et les cultivateurs ne parlaient pas anglais.

La petite fut élevée en français et, à l’âge de 13 ans, entra chez les Ursulines. Finalement, elle parvint à rassembler ses souvenirs et à retracer le curé Robson. Elle lui écrivit alors pour demander des nouvelles de sa mère. Sans réponse. En effet, le curé Robson, recevant une lettre signée « Mary Mahon » en français avait cru à un canular ! Une deuxième lettre en anglais eut plus de succès. Les retrouvailles furent émouvantes.

Finalement Mary entra au couvent en 1848, dut en sortir pour raison de santé et y retourna en 1851, pour de bon, sous le nom de Sœur Saint-Louis. Elle décéda en 1887.

Et la femme atteinte de problèmes mentaux qui l’avait entraînée dans les bois ? Elle fut identifiée comme étant Mary Ann Chase de Burlington au Vermont.  Elle fut éventuellement retrouvée par ses parents et ramenée au Vermont. Elle serait décédée en se noyant dans un  « bassin de tanin ». Non seulement, à l’époque, il n’y avait pas de services sociaux mais, comme on voit, les normes de sécurité sur les lieux travail n’étaient pas ce qu’elles sont aujourd’hui.

André Pelchat
CHRONIQUEUR
PROFILE

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