Les Frères de la Charité à Drummondville : de la charité à la controverse… Raconte-moi l’histoire par André Pelchat

Les Frères de la Charité à Drummondville : de la charité à la controverse… Raconte-moi l’histoire par André Pelchat
Trois membres de la communauté des Frères de la charité devant un gâteau jubilaire Bathurst 1947 @ Crédit photo Société d'histoire Drummond, collection régionale / Vingt55. Tous droits acquittés

DRUMMONDVILLE

L’ordre des Frères de la Charité a été fondé en Belgique, alors occupée par la France de Napoléon, en 1807 par Pierre-Joseph Triest sous le nom de Frères hospitaliers de Saint-Vincent. La mission de l’ordre est d’aider les démunis, et il œuvre principalement dans la rééducation, les soins aux malades et l’enseignement. L’évêque de Montréal, Mgr Ignace Bourget, leur a demandé de venir au Canada, et quatre frères se sont installés à Montréal en 1865. C’était la première communauté des Frères hors de Belgique.

Leur première tâche a été de prendre en charge l’hospice Saint-Antoine, qui accueillait divers défavorisés tels que les vieillards et les orphelins (comme on disait à l’époque). En 1869, une loi a établi des écoles de réforme pour les jeunes «vagabonds et délinquants», et les Frères ont signé un contrat avec le gouvernement pour prendre en charge ce genre d’établissements. Ils en ont ouvert de nombreux autres, par la suite, à travers le Québec et la Nouvelle-Angleterre. Ils ont également géré des hôpitaux, notamment psychiatriques.

C’est finalement Napoléon Garceau, président de la commission scolaire, qui a invité les Frères à s’installer à Drummondville pour y fonder un collège commercial et un juvénat (établissement d’enseignement secondaire catholique, dirigé par des religieux, qui assure la formation de jeunes se destinant à la vie religieuse). Dès 1906, les Frères ont acheté un grand terrain entre la rue Heriot et la rivière Saint-François. Ils y ont construit le premier collège Saint-Frédéric. Dès la mi-septembre de la même année, l’établissement a ouvert ses portes pour un groupe de 40 internes, 50 externes et 30 juvénistes.

En 1907, ils ont pris en charge l’école Garceau et, en 1928, ont créé l’Académie Davie qui est devenue en 1935 la 2e école Saint-Frédéric. Évidemment, en 1962, c’est la fondation du Collège Saint-Bernard, qui est devenu mixte en 1970 et laïque en 1996.

Par ailleurs, les frères se sont impliqués dans des domaines variés, se relayant, par exemple, pour effectuer des relevés météorologiques. Le Frère Léo Descheneaux s’est dévoué pour le sport amateur pendant que ses collègues Côme Saint-Germain et René Desrosiers se sont distingués comme historiens. De quoi être fiers.

Et pourtant…

Depuis 1940 au moins, selon certains ex-étudiants, des cas d’abus, d’agressions et de harcèlement sexuels se seraient déroulés au collège Saint-Frédéric, ainsi qu’au collège Saint-Bernard. En octobre 2021, un homme, âgé alors de 83 ans, identifié uniquement comme A.B., a présenté à la Cour supérieure du Québec une demande d’action collective contre les Frères. Selon la requête, il aurait été victime d’attouchements des parties sexuelles de manière répétée en 1950, alors qu’il avait 12 ans, de la part d’un des enseignants, un certain frère Raphaël, malgré ses refus. Il s’en serait suivi « des crises d’anxiété et de nervosité nocturne, des crises d’angoisse, un sentiment d’humiliation et de culpabilité et des périodes de dépression », longtemps après qu’il eut quitté le collège l’année suivante.

L’homme réclame des dommages totalisant 600 000 $. La procédure vise « toutes les personnes, de même que leurs héritiers et ayants droit, ayant été agressées sexuellement par un membre religieux des Frères de la Charité, ou par un employé ou un bénévole, laïc ou religieux, se trouvant sous la responsabilité des Frères de la Charité » entre le 1er janvier 1940 et aujourd’hui. L’audience a enfin eu lieu à Montréal le 12 décembre 2022, et en février 2023, le juge Pierre Nollet a autorisé la procédure.

Cela concerne toutes les victimes potentielles ayant fréquenté les divers établissements des Frères de la Charité, près d’une douzaine dans l’ensemble du Québec.

L’avocat des plaignants (plusieurs autres s’étant ajoutés depuis le début, y compris à Drummondville), Me Justin Wee, a déclaré à cette occasion : « En effet, dénoncer constitue une étape importante pour toutes les victimes, c’est essentiellement le début d’une étape importante pour eux qui, en plus de dénoncer, leur permet d’envoyer un message clair aux agresseurs, du passé et du présent. (…) La société a changé, les victimes n’ont plus honte de dénoncer, c’est beaucoup plus facile maintenant de le faire et c’est assurément une bonne nouvelle pour elles afin de dénoncer des crimes et agressions qui étaient jusqu’à maintenant demeurés impunis ».

On ne peut guère en dire plus, la procédure judiciaire étant encore en cours. Il faut cependant souligner, s’il est besoin, que le cas des Frères de la Charité est, malheureusement, loin d’être unique : une compilation réalisée par l’émission Enquête de Radio-Canada en 2020, près de 25 actions collectives ont été entamées au Québec contre des diocèses, des congrégations et autres institutions religieuses.

Le total des victimes, si toutes sont démontrées, s’élèverait à 3 000 personnes et celui des agresseurs à 334. Si l’on tient compte des allégations n’ayant pas été suivies de poursuites, le total des victimes potentielles s’élèverait à 10 000. Selon un document du Ministère fédéral de la sécurité publique, le nombre total d’agresseurs représenterait environ 4% des prêtres et religieux catholiques. Cependant, la circonstance aggravante est que les communautés, par divers moyens, ont souvent travaillé à camoufler les actes commis et à protéger les agresseurs. De quoi avoir honte.

Et nous n’avons pas parlé des pensionnats autochtones…

André Pelchat
CHRONIQUEUR
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