« Moi, dans les ruines rouges du siècle » : grandes leçons de vie et de théâtre chez Duceppe … Le carnet culturel de Jean-Seb

« Moi, dans les ruines rouges du siècle » : grandes leçons de vie et de théâtre chez Duceppe … Le carnet culturel de Jean-Seb
Le Vingt55 a assisté à la première médiatique de la pièce « Moi, dans les ruines rouges du siècle » @ Crédit photo Danny Taillon.  Tous droits réservés.

SPECTACLE

Le Vingt55 a assisté à la première médiatique de la pièce « Moi, dans les ruines rouges du siècle », hier soir, au Théâtre Jean-Duceppe.

Le Vingt55 a assisté à la première médiatique de la pièce « Moi, dans les ruines rouges du siècle » @ Crédit photo Danny Taillion.  Tous droits réservés.

Si j’avais entendu beaucoup de bien de cette pièce, qui a été créée en 2012, je n’avais pas eu l’occasion d’assister à une représentation. D’après les échos que j’en avais depuis quelques mois, les attentes étaient particulièrement élevées pour cette reprise. J’en suis ressorti ému et impressionné par ce que j’ai vu sur scène: du théâtre à l’état pur, qui vous prend droit au cœur et vous force à réfléchir à ce qu’il y a de bon dans l’imperfection familiale, à apprécier ce que vous avez eu ou avez encore.

Imaginez passer votre vie à chercher votre mère, à confondre de pures étrangères avec ce visage maternel tant recherché. Tout cela parce que votre père vous l’a enlevé. Vous « a » enlevé, avant de vous enlever les mères qu’il a mises sur votre chemin. Vous pensez ensuite à devenir célèbre afin que votre mère, où qu’elle soit, vous reconnaisse et reprenne contact avec vous. Puis un jour, vous la retrouvez, mais le temps vous l’arrache, mettant fin à ces retrouvailles et aux projets que vous caressiez. Ce rêve d’une famille unie, le comédien Sasha Samar l’a finalement concrétisé en traversant l’Europe pour venir habiter au Canada, où il a eu un fils, Vlace, avec sa femme.

Des faits réels

« Moi, dans les ruines rouges du siècle » est inspirée du parcours de vie du comédien d’origine ukrainienne Sasha Samar. Cette pièce, écrite en finesse et mise en scène de main de maître par Olivier Kemeid, nous offre à la fois une grande leçon de vie et une grande leçon de théâtre. Les enseignements émanant du parcours de vie de Sasha Samar, ayant notamment trait à la famille, sont saisissants et intégrés à un univers théâtral merveilleusement façonné. Tout est fluide, le spectateur est transporté en douceur d’une scène à l’autre par des transitions bien amenées, et nous sommes entraînés dans une époque charnière de l’histoire de l’Ukraine, autant que de la Fédération de Russie et sa chute. Le rouge des ruines est partout, tout en subtilité. L’humour ponctue également les scènes dans lesquelles les drames importants de la vie de Sasha se jouent, évitant ainsi de sombrer dans le mélodramatique. Chapeau à la mise en scène et au jeu des acteurs !

Sasha à travers les âges

L’authenticité de Sasha Samar, qui se personnifie enfant, adolescent et jeune adulte, redevenant quelque peu lui-même dans les moments où il se place en retrait de l’action pour assister, d’une certaine façon, au récit de sa vie, est criante de vérité. Que l’acteur se personnifie lui-même n’enlève aucune crédibilité à la pièce : au contraire, on peut voir un vaste éventail de son jeu d’acteur et on y croit. Car « Moi, dans les ruines rouges du siècle », c’est Sasha Samar. Personne d’autre ne pourrait le jouer. Ça lui appartient. La partition qu’il s’est construite pour jouer son rôle à différents moments de sa vie est définitivement digne des meilleures performances de la saison théâtrale 2023-2024.

«SASHA: Bonsoir | Je m’appelle Sasha | L’histoire que vous allez entendre | Je ne sais pas pourquoi je la raconte | Peut-être d’ailleurs que je ne la raconte pas vraiment | Peut-être que c’est elle qui se raconte malgré moi | C’est donc l’histoire d’une vie qui va se raconter à travers moi | Et cette vie | C’est la mienne | Je suis né le 12 février 1969 en Ukraine soviétique

Ainsi commence la pièce, saisissante, touchante, nous donnant envie de prendre cet homme dans nos bras pour le réconforter. Les deux heures qui suivent ne font qu’accentuer ces sentiments pour le spectateur. On le suit de l’enfance à l’adolescence, dans ses rêves de célébrité, lorsqu’il s’autoproclame « démon blond soviétique », sorte d’hommage à notre démon blond, le joueur Guy Lafleur, puis lorsqu’il rencontre sa première flamme amoureuse.

L’acteur est bien entouré par ses camarades actrices et acteurs. Mention spéciale à Jean Maheux, qui personnifie le père de Sasha et dont le personnage, qui a enlevé Sasha, son propre enfant, pourrait facilement être qualifié de monstre. Est-il nécessairement un monstre d’avoir voulu passer plus de temps avec son fils, tandis que sa conjointe, qui le quitte, exige qu’il passe peu de temps auprès de leur enfant – « à Noël, peut-être, sinon l’été prochain », alors que nous sommes en septembre? Bien que l’enlèvement soit inacceptable, l’arrangement proposé par la mère suppose qu’il aurait été privé d’un père, mais pas de la même façon qu’il a été privé de sa mère de l’âge de 3 ans à 25 ans.

« Si tu la suis, je te tue », dira le père à son fils, qui court derrière l’une de ses mères venant d’être chassée par son père.

Malgré ce drame immense, l’interprétation de Jean Maheux parvient à nous faire ressentir tout l’amour du père pour son fils. La dernière scène que jouent les deux acteurs ensemble est bouleversante. Au-delà de ce filet de mensonges qu’a créé le père afin d’éviter que son fils tombe dans le vide, vu l’absence de sa mère dont il est la cause, l’amour entre le père et le fils est plus fort que tout. Il y a peut-être place au pardon pour Sasha.

Marie-France Lambert est également très touchante dans le rôle de la mère de Sasha. Ce dernier semblait lui-même ému, après leur dernière scène à deux, qui avait des airs d’adieux. On aurait souhaité voir davantage cette maman bien campée par Madame Lambert, qui offre également une solide performance. Il va sans dire que ce moment est fort attendu, caractérisant la recherche identitaire de toute une vie, celle de Sasha Samar.

L’équipe d’acteurs compte également Sophie Cadieux, Aliona Munteanu, Geoffrey Gaquère et Peter Meltev, qui excellent en personnifiant différents personnages issus autant de la réalité que des rêves – illusions, chimères – de Sasha durant son enfance et sa jeunesse. Nous avons affaire à une solide distribution pour porter cette histoire de vie inouïe qui a marqué les 25 premières années de vie du comédien Sasha Samar. Chapeau aux performances de chacun!

« Moi, dans les ruines rouges du siècle » est définitivement un incontournable de cette saison, chez Duceppe, si ce n’est la meilleure pièce de la saison. Ces deux heures sans entracte passent vite. À voir, absolument !

Résumé de « Moi, dans les ruines rouges du siècle », comédie dramatique

Sasha a sept ans quand il découvre que sa mère n’est pas sa mère, qu’il a été kidnappé par son père et que celui-ci a refait sa vie avec une autre femme. Depuis, Sasha ne souhaite qu’une seule chose: devenir célèbre afin que sa mère, où qu’elle soit, puisse le reconnaître à la télévision. Nous sommes en Ukraine soviétique, au milieu des années 1980, et la quête identitaire de Sasha évoque celle de toute une nation en perte de repères. Entre l’explosion de Tchernobyl et l’échec de la glasnost, Sasha tente de se reconstruire, alors que tout s’effondre autour de lui: ses rêves, ses idéaux, son pays. Épaulé par un ami comédien qui ressuscite le fantôme de Lénine et par une amoureuse déprimée qui fonde tous ses espoirs dans la perestroïka, trouvera-t-il sa route dans les décombres d’un siècle qui s’achève sous ses yeux?

Pour plus d’informations : https://duceppe.com/moi-dans-les-ruines-rouges-du-siecle/

À l’affiche jusqu’au 30 mars 2024.

Le Vingt55 a assisté à la première médiatique de la pièce « Moi, dans les ruines rouges du siècle » @ Crédit photo Danny Taillion.  Tous droits réservés.

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