DRUMMONDVILLE – Récemment, le sculpteur québécois de renommée internationale Armand Vaillancourt était de passage à Drummondville afin de réaliser une murale sur toile avec les élèves des groupes de l’option Arts plastiques de l’école secondaire Jean-Raimbault. Vingt-55 a profité de l’occasion pour s’entretenir avec ce monument sculpté à même la vie. Une vie dure et intense.
À 87 ans, Armand Vaillancourt a encore le geste rapide et précis. Il va dans tous les sens tout en écoutant et en regardant attentivement ce qui se passe autour de lui. De toute évidence, les jeunes qui s’agitent devant ses yeux, à genoux, à peindre et à dessiner sur ce papier qui deviendra leur création, le ramènent à sa propre jeunesse, à Black Lake, un secteur de la ville de Thetford Mines.
Après quelques minutes de conversation avec l’artiste, celui-ci retourne auprès des jeunes élèves afin de leur donner de nouvelles directives. Il vient ensuite se rasseoir avec l’auteur de ces lignes pour poursuivre son récit. S’il donne un peu dans le coq-à-l’âne, il ressasse des souvenirs évocateurs.
En fait, il y aurait tellement de faits saillants à partager à son sujet que Vingt-55 a plutôt choisi de vous présenter quelques citations soigneusement choisies à propos de…
Son enfance
«Je suis né en 1929, en pleine crise économique. Je suis le seizième enfant d’une famille de 17. À partir de l’âge de six ans, on travaillait à la ferme familiale. Le dimanche, quand j’étais jeune, ce n’était pas rare d’accueillir trente ou 40 personnes à manger, se souvient l’artiste. Tout ce monde-là était sur notre terrain. C’était la famille rapprochée. Durant l’été, on avait des bancs de quêteux sur la galerie. Ça prenait les trois quarts de la place. On vivait modestement, mais on aidait comme on pouvait.»
Son père
«Mon père, c’était un type politiquement engagé et ferme. Il lui est déjà arrivé d’aller voir le député pour lui dire de faire quelque chose quand une famille était dans le besoin. Et si les choses ne bougeaient pas, il retournait à son bureau et il le prenait par le collet en lui disant : «Là, tu vas t’en occuper!». C’était un homme ferme, mais pas violent. Il nous aimait. Jamais il n’a levé la main sur nous. Il faisait des farces et, le soir, il nous racontait toutes sortes d’histoires de peur. C’était un bon raconteur».
«La cause du Québec»
Chevalier de l’Ordre national du Québec et lauréat du prix Paul-Émile-Borduas, Armand Vaillancourt est également un militant. Toute sa vie, il a fait en sorte de faire avancer, à sa façon, «la cause du Québec», comme il l’appelle.
Si cette cause lui tient à cœur, il l’a démontré très tôt dans sa carrière, notamment en 1971, alors qu’il était à San Francisco et qu’il a imaginé et construit une gigantesque fontaine au look fort particulier. Cet énorme monument de béton, de 61 mètres de long, 43 mètres de large et 11 mètres de haut, est installée à l’Embarcadero plaza, en plein cœur du quartier financier de la légendaire ville. Connue sous le nom «Fontaine Vaillancourt», elle avait pourtant été intitulée «Québec libre» par le sculpteur lors de sa création, ce qui avait provoqué de vives réactions de la part de plusieurs personnes. Depuis sa création, la fontaine a fait couler beaucoup d’encre, notamment lorsque Bono, le chanteur du groupe U2, l’avait honoré d’un graffiti. Le leader du légendaire groupe irlandais avait ensuite contacté Armand Vaillancourt pour lui présenter ses excuses. Quand même.
«Après mon départ de San Francisco, ils ont «bulldozé» mon atelier qui mesurait 160 pieds de long par 80 pieds de large, et tout ça, parce que j’avais donné l’hospitalité aux Premières Nations», expose l’artiste, qui a soutenu de nombreux mouvements considérés contestataires.
Les régions du Québec
«J’ai été président du Front commun des travailleuses et travailleurs culturels du Québec. J’avais alors fait ma campagne sur la décentralisation et la régionalisation. C’est pour ça que j’ai acheté une ferme dans les Cantons de l’Est et la vieille école de Saint-André-de-Kamouraska. Ça me coûte entre 15 000 $ et 20 000 $ pour la tenir debout. Là-bas, le maire est contre moi : il voudrait détruire ça pour faire des résidences pour personnes âgées. Je lui ai dit d’aller faire ça ailleurs», raconte le sculpteur.
(N.D.L.R.) :Le Centre culturel de la Vieille École de Saint-André-de-Kamouraska est un lieu de diffusion et d’expression de la culture avec une perspective d’éveil à l’art contemporain. On y accorde une grande place à la jeunesse en leur offrant une vision de la création qui leur est propre.
À propos des gens de sa génération
«Je suis vieux, mais je suis toujours vierge dans tout ce que j’entreprends. Les gens me demandent si je suis fatigué, mais la réponse est non, assure-t-il. Je trouve ça un peu triste d’entendre certains vieux de mon âge qui ne parlent pas de la qualité du travail. Ils préfèrent se vanter d’avoir connu Picasso.»
Le web
«Le web, c’est un changement planétaire et c’est aussi une nouvelle façon de voir la société. Si l’éducation des jeunes est bien faite, et pas pour faire d’eux de bons petits capitalistes, il y a moyen de faire quelque chose. On naît tous avec une capacité d’agir», se dit persuadé l’artiste.
Sa fougue, à 87 ans
«Je suis comme une guerrier. Un guerrier pour la paix, très lucide. Je ne prends pas de boisson et je m’organise pour être en forme lorsque je dois aller quelque part. C’est par respect profond pour l’autre», estime-t-il.
Son côté épicurien
«Moi, je suis orgiaque. Si tu mets ça dans ta tête, tu as tout compris. Je ramasse des choses, comme des livres… des choses dans la rue… Toutes des choses qui sont comme mon vocabulaire. Et je vois tout comme un architecte et un ingénieur et… un sculpteur, évidemment. Un bon architecte, c’est un sculpteur.»
La pauvreté
«Ça a été dur ma vie, assure Armand Vaillancourt. J’ai squatté des maisons à Montréal pendant plusieurs années. Pas de télé, pas de chauffage. Au début des années 1950, à la Place des arts, j’ai souvent couché dehors, l’hiver, jusqu’à la fin de février. Il y avait un pied de glace en bas. Je n’avais pas de sac de couchage. Pour moi, ce n’était pas tragique, car à la ferme, quand j’étais jeune, on commençait à travailler à six ans. Ça forge le caractère».
N’ayant jamais attendu d’avoir de l’argent pour agir, il se rappelle aussi ses nombreux voyages.
«À la fin de 1949, lorsque la ferme familiale a été vendue, j’ai beaucoup voyagé. J’avais 20 ans. J’ai parcouru 110 000 miles à travers l’Amérique durant l’hiver. À cette époque, il m’arrivait aussi de travailler sur des bateaux durant l’été».
«Les gens m’arrêtent parfois dans la rue pour me parler. Et ce n’est pas parce que j’ai des sous parce qu’il m’arrive d’être plus pauvre que le pauvre à côté de moi».
La richesse
«Les exigences quotidiennes me rattrapent. Je n’ai pas d’argent, mais je fonctionne comme si j’étais riche. Tu ne feras pas un pauvre de moi; je suis trop en tabarnac, assure le coloré sculpteur avec un sourire. J’ai hypothéqué ma maison de 600 000 $ pour pouvoir finir la sculpture de Longueuil, ne cache pas l’artiste. L’œuvre est là pour 1000 ans.»
(N.D.L.R. : cette structure rend hommage au syndicaliste Michel Chartrand. Elle est composée de 20 plaques d’acier pesant 24 tonnes chacune et mesurant 10 mètres).
Des bonhommes de cette trempe, on en compte peu par tranches de 50 ans. Le Québec a bercé son lot d’artistes, de contestataires, de créateurs farfelus, d’idéalistes et autres anticonformistes et le nom d’Armand Vaillancourt s’inscrit brillamment dans cette liste. Il est de ces colorés qui ont façonné l’histoire à leur façon. Parce que c’est bien de ça que parle le sculpteur : faire les choses «à sa façon». Et c’est aussi ce qu’il a fait sa vie durant.