Une guerre sur notre paisible rivière Saint-François, …Raconte-moi l’histoire par André Pelchat

Une guerre sur notre paisible rivière Saint-François, …Raconte-moi l’histoire par André Pelchat
Une guerre sur notre paisible rivière Saint-François @ Image du film ''Northwest Passage" @ Tous droits réservés.

DRUMMONDVILLE

Les guerres et les tragédies sans nombre qu’elles apportent, inondent régulièrement nos bulletins de nouvelles : Ukraine, Palestine, etc. mais que notre paisible rivière Saint-François ait pu être un théâtre de guerre, voilà qui en surprendra plusieurs.

Reconstitution du fort d’Odanak, Musée des Abénakis à Odanak @  Crédit photo André Pelchat / Vingt55 Tous droits réservé. 

Et pourtant…

On est en 1759, la guerre de Sept ans achève en Amérique mais elle n’est pas encore finie. Elle a commencé en 1754 (en 1756 en Europe) et a débuté par une série de victoire françaises qui ont semé la panique dans les colonies de Nouvelle-Angleterre. C’est dans ce contexte que les Nations autochtones alliées aux Français se lancent dans une série d’attaques dévastatrices sur les villages frontaliers des colonies britanniques. Parmi ces nations, on trouve les Abénakis.

Les Abénakis, depuis 1700, habitent la mission Saint-François, aujourd’hui Odanak, sur des terres cédées par la veuve du seigneur Crevier, de Saint-François du Lac. La rivière Saint-François fait depuis longtemps partie du territoire abénaki qui s’étendait à l’origine du lac Champlain jusqu’en Acadie, en incluant aussi une bonne partie de la Nouvelle-Angleterre. Une série de conflits avec les colons anglais ont forcé les Abénakis à migrer vers les rives du fleuve Saint-Laurent, sous la protection des Français, à partir des années 1660. Ce n’est donc pas seulement à cause de leur alliance avec les Français que les Abénakis font la guerre aux Anglais : ils ont leurs propres raisons. Signalons que la mission fortifiée sert à protéger la colonie, les Abénakis continuant de patrouiller toute la rivière Saint-François pour y chasser et pêcher. Des familles abénakises vivront dans la région de Drummond jusqu’au milieu du siècle suivant.

C’est pour tenter de parer aux attaques de guérilla autochtones et canadiennes que les autorités britanniques ont formé un corps d’armée spécial : les Rangers, formés, eux aussi, à la guérilla. Ils sont commandés par le lieutenant-colonel Robert Rogers, de la milice du New Hampshire.

Rogers avait des raisons personnelles d’en vouloir aux alliés autochtones de la Nouvelle France. Outre le fait que les villages de son New Hamshire natal étaient fréquemment la cible de raids abénakis dévastateurs, son frère Richard, qui avait lui-même servi un temps dans les Rangers, était mort en 1757, de la variole, pendant le siège du fort William Henry par le général Montcalm et ses troupes françaises et canadiennes ainsi que de nombreux alliés autochtones. Il semble qu’après cette bataille (rendue célèbre par le roman Le Dernier des Mohicans de Fennimore Cooper), des Autochtones auraient déterrés le cadavre de James et l’auraient mutilé.

Lorsque deux messagers envoyés par le général Amhest pour demander aux Abénakis de rester neutres sont emprisonnés à Odanak, l’officier anglais décide d’envoyer Rogers avec 200 hommes en mission de représailles contre les Abénakis.

Ses ordres sont explicites : « Prenez votre revanche, sans oublier que ces scélérats ont assassiné sans égard des femmes et des enfants de tout âge. »

Rogers et ses hommes partent à la fin septembre. Désireux d’éviter les Abénakis qui patrouillent la rivière Saint-François, ils prennent la rivière Missisquoi mais il est vite repéré par des patrouilles françaises. Les Rangers quittent donc la rivière pour continuer à pied, traversant des marécages infestés de moustiques aux environs de Bedford, Granby et Acton Vale. Il y perd plusieurs hommes qui, épuisés, rebroussent chemin. Au bout de dix jours, le 3 octobre, il débouche sur la Saint-François, à environ 15 milles (26 km) en amont d’Odanak, ce qui l’amène dans les environs actuels de Drummondville.

Ils trouvent un endroit où la rivière est peu profonde mais le courant très fort (Peut-être les rapides Spicer ?). Les hommes font la chaîne pour traverser.  Le soir, après avoir marché toute la journée,  un homme monté dans un arbre repère la mission Saint-François à environ 3 milles (4,8 km).

Constatant qu’une sorte de fête se déroule dans le village fortifié, Rogers attend la nuit et, quand il est persuadé que tous les Autochtones dorment, ordonne à ses hommes de prendre position et, à l’aube,  lance l’attaque par deux côtés à la fois. Les Abénakis, surpris en plein sommeil, n’ont pas le temps de prendre les armes. Les Anglais tirent sur tout ce qui bouge, mettent le feu aux greniers et à l’église, l’incendie s’étendant bientôt à tout le village. Après quoi Rogers et ses hommes se retirent, emportant une trentaine de prisonniers. Il se vantera aux autorités britanniques d’avoir tué plus de 200 « Indiens ». Le bilan des pertes fait par les autorités françaises après coup signale toutefois une trentaine de morts dont une vingtaine de femmes et d’enfants – pour la plupart, brûlés dans leurs propres maisons en tentant de s’y cacher – et une dizaine d’hommes. Le lieutenant-colonel Rogers avait apparemment un petit côté « capitaine Bonhomme »…

La mission et le village devront cependant être complètement reconstruits, ce qui devra limiter les capacités des Abénakis à repartir en guerre.

Mais les Rangers ne sont pas au bout de leurs peines : dès le lendemain des troupes françaises et des alliés autochtones se mettent à leur poursuite. Rogers, a choisi de remonter la rivière Saint-François pour le retour. Il commet alors l’erreur de diviser ses hommes en petits groupes. Plusieurs seront rattrapés et, soit capturés ou tués. Les autres vivront un véritable calvaire sur le chemin du retour, manquant de vivres, n’osant faire de feu par peur d’être repérés. La retraite des Rangers se transforme en misérable déroute. Rogers rejoindra le Q.G. britannique et c’est peut-être pour justifier la perte de nombreux miliciens qu’il gonflera le chiffre des victimes autochtones.

Malgré ce désastre, les Américains se sont, depuis, convaincus qu’il s’agissait d’une grande victoire et Rogers est considéré comme un héros chez nos voisins du sud.  En 1940, Hollywood en tira même une méga-production en technicolor mettant en vedette Spencer Tracy dans le rôle de Rogers, intitulée « The Northwest Passage ». Dans le film on a l’impression que les Rangers ont tué au moins 200 Autochtones, sinon plus et qu’il n’y avait que des guerriers dans le village. Quant aux prisonniers abénakis fait par les hommes de Rogers, ils sont devenus des femmes et des enfants anglais libérés de leur captivité chez les « Peaux-Rouges ».

Décidément, nos voisins américains, on ne les changera pas….

En 1940, Hollywood en tira même une méga-production en technicolor mettant en vedette Spencer Tracy dans le rôle de Rogers, intitulée « The Northwest Passage »

André Pelchat
CHRONIQUEUR
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