DRUMMONDVILLE
L’agent Danny Poliquin de la Sûreté du Québec, acquitté au terme de son procès à Drummondville © Crédit photo Eric Beaupré / Vingt55. Tous droits réservés.
Le Vingt55 a assisté aux deux journées de procès, où des témoins sont venus relater les événements ayant conduit le DPCP à porter une accusation de voies de fait simples contre le policier qui était en devoir lors d’une intervention de routine qui a dégénéré en bordure de l’autoroute 20. Un expert est également venu décortiquer seconde par seconde les quelques minutes filmées par la conjointe du plaignant lors de l’intervention.
Une intervention de routine qui dégénère
Vers 11 h 30, le 16 juillet 2020, lors d’une opération radar, l’agent Poliquin avait remarqué qu’un véhicule était immobilisé sur l’accotement de l’autoroute 20-Est depuis plus d’une trentaine de minutes, comme l’a rappelé l’avocat de la défense, Me Jean-François Boucher. C’est en voulant expliquer et justifier au policier le délai que le conducteur était sorti de son véhicule afin de se placer entre la moto du patrouilleur autoroutier, qui offre peu de protection, et son propre véhicule. Or, celui-ci a coupé court aux tergiversations du conducteur et l’a avisé qu’il s’occuperait d’appeler une remorque afin de déplacer le véhicule à un endroit plus sécuritaire. C’est à ce moment que la situation avait rapidement dégénéré en bordure des voies rapides, le conducteur insistant pour se charger lui-même de son remorquage et obtenir le nom et numéro de matricule de l’agent en service.
« Mon devoir et intention était de voir le conducteur et sa passagère quitter l’autoroute au moyen d’une remorque dans les plus brefs délais, autant pour leur sécurité que la mienne », a expliqué le policier lors de son interrogatoire. « J’ai enjoint le conducteur à retourner à son véhicule à trois reprises, en plus de lui ordonner, deux secondes fois, de façon formelle, de le faire. » Devant les refus et le conducteur peu collaborant, l’agent Poliquin a placé le conducteur en état d’arrestation pour entrave à un agent de la paix.
C’est à ce moment que la confrontation avait débuté et que l’agent Poliquin avait vu l’individu, Frédérick Labelle , se retourner face à lui de façon agressive, démontrant clairement qu’il n’y aurait aucune collaboration de sa part. L’agent Poliquin avait par la suite utilisé une technique lui permettant d’amener M. Labelle au sol, technique enseignée lors des formations policières. Les deux s’étaient alors retrouvés sur le gazon, à quelques mètres de la chaussée et des voies rapides, endroit où le conducteur avait fortement et longuement résisté à son arrestation, jusqu’à son menottage. Une perte de conscience du suspect était survenue quelques minutes après sa fouille.
Quelques minutes d’images vidéo captées durant la longue intervention déposées en preuve par le DPCP
Des images vidéo et des photos captées lors de l’intervention par la conjointe de M. Labelle ont été déposées en preuve par Me Patrick Cardinal procureur de la couronne. Les images montrent, par séquences, le conducteur agité qui résiste à son arrestation et argumente tout au long de l’intervention et lors des manœuvres pour procéder à son menottage, alors que le policier tentait tant bien que mal de maîtriser l’individu.
Me Patrick Cardinal a tenté de soutenir que le policier avait usé d’une force excessive et injustifiée envers le conducteur. Le policier a, selon les quelques séquences vidéo, frappé l’individu d’un coup de poing, tactique de diversion enseignée aux policiers en formation, en plus d’appliquer un genou à la hauteur des épaules près de la nuque lors de l’intervention, deux gestes qui ont conduit le DPCP à porter des accusations envers le policier.
Le témoin expert en emploi de la force, Jacques Lafond, est venu témoigner que l’intervention s’est faite dans les règles de l’art, telle qu’enseignée.
« Pour la sécurité de tous, la décision d’appeler une remorque est légitime afin de déplacer le véhicule à un endroit plus sécuritaire », d’affirmer M. Langlois témoin expert « À la suite de quelques demandes à M. Labelle de retourner à son véhicule et des refus de ce dernier, d’un ordre formel également refusé, il oblige l’agent Poliquin à le mettre en état d’arrestation », a rappelé l’expert, qui a offert la même version que l’avocat de la défense.
« M. Labelle, se retournant face à l’agent Poliquin de façon agressive, a clairement démontré qu’il n’y aurait aucune collaboration de sa part. La confrontation a débuté et le danger de se retrouver sur la chaussée étant bien présent a obligé l’agent Poliquin à utiliser une technique d’amener au sol, qui est de faucher les jambes de M. Labelle. Rendu au sol, il doit y avoir une bonne technique de contrôle afin de pouvoir procéder à la mise des menottes », a expliqué l’expert à la demande de l’avocat. « L’agent Poliquin réussit à mettre une première menotte et a de la difficulté à mettre la deuxième, car le niveau de résistance de M. Labelle a augmenté, comme l’ont démontré les images vidéo. »
Au sol, le policier a tenté de bloquer deux centres de rotation de M. Labelle en plaçant un genou sur les hanches et l’autre genou sur la ligne des épaules. « Cette position empêche la personne de se retourner, ce qui permet au policier d’utiliser ses mains pour le contrôle des bras afin de procéder à la mise des menottes. Plus la personne bouge et résiste, plus la perte d’équilibre du policier est grande, ce qui oblige le policier à se repositionner tout au long du contrôle de l’individu », a expliqué l’expert lors de son témoignage. « Entre-temps, l’agent Poliquin a utilisé une technique de diversion, soit une frappe sur le côté du visage de M. Labelle avec sa main droite afin qu’il arrête de résister et qu’il puisse compléter la mise de la deuxième menotte. La diversion n’a toutefois pas eu d’effet dissuasif, car M. Labelle a continué à résister à son arrestation. »
« Deux des trois techniques ont été utilisées afin de contrôler M. Labelle, soit de limiter la liberté de mouvement en l’amenant au sol, face contre le sol, et de contraindre par la douleur en tentant de procéder à la mise de menottes avec contrôle articulaire des poignets. Le positionnement a été employé par l’agent Poliquin afin de retenir et de contrôler », a rappelé M. Langlois, témoin expert en emploi de la force.
À la suite du contrôle de M. Labelle, celui-ci a été placé en position latérale de sécurité et a été maintenu dans cette position par l’agent sous une pluie d’insultes, alors que l’individu continuait de se débattre et de dénigrer le policier jusqu’à l’arrivée du renfort. La perte de conscience du suspect est survenue quelques minutes après sa fouille, comme le démontre la vidéo.
Durant tout le processus de contrôle, l’agent Poliquin a dû faire face à une grande résistance de la part de M. Labelle, aux cris et aux insultes de ce dernier, mais également aux cris et aux insultes de la conjointe, qui a filmé quelques séquences de la longue intervention, sans toutefois que cette dernière demande à son conjoint de se calmer et d’arrêter de résister au policier.
Le DPCP reprochait au policier d’avoir donné un coup de poing ainsi que des manœuvres excessives au sol lors de l’arrestation du suspect, soit d’avoir appuyé au niveau du cou ou de la nuque, plus précisément comme il a été démontré en preuve, de l’individu peu collaborant et qui résistait à son arrestation.
L’usage de la force par le policier lors de l’intervention était justifié, a conclu l’expert, qui a précisé durant son témoignage que l’agent a contrôlé la situation en utilisant les techniques enseignées par les organisations policières. Le coup frappé au niveau du visage semblait la seule option qu’il avait, à ce moment, et dans le continuum d’intervention, il a été donné. C’était, de l’avis de l’expert, la partie la plus près à atteindre avec sa main droite sans mettre en péril son propre équilibre. « Le coup de poing ne semble pas avoir été donné avec grande intensité », a-t-il également soutenu.
La poursuite admet que le policier pouvait recourir à la force afin de procéder à l’arrestation pour entrave de Frédéric Labelle, mais soutenait que le policier avait outrepassé ce pouvoir en usant d’une force jugée non nécessaire et en faisant usage d’une force excessive pour arriver à menotter l’individu qui refusait de collaborer.
Une décision claire et sans équivoque de l’honorable juge
Le tribunal croit la version de l’agent Danny Poliquin, qui affirmait et statuait qu’il avait utilisé une force nécessaire pour maîtriser le plaignant et que le coup de poing était retenu, pour faire diversion, comme l’a confirmé l’expert en emploi de la force, M. Langlois. La technique de diversion, une frappe qui avait pour but de dissuader le plaignant de continuer à résister, d’autant plus qu’une demande a suivi ce geste, soit de cesser et de collaborer, comme il est enseigné dans les techniques d’intervention et d’emploi de la force lors d’intervention, arrestation ou technique de menottage. Corroboré par M. Langlois, le policier avait ensuite utilisé la force et les points de pression pour le maîtriser.
La preuve vidéo permet de constater un coup de poing et des manœuvres au sol, soit quelques secondes d’une longue intervention qui aura duré entre 10 et 15 minutes.
La juge n’a accordé que très peu de crédibilité au témoignage de la conjointe du plaignant. Ainsi, la juge estime et est d’avis que l’intervention du policier était raisonnable et ne nécessitait pas une norme de perfection. Le policier se trouvait face à un individu qui ne collaborait pas, qui se débattait dans un contexte inquiétant et dangereux sur le bord de l’autoroute et des voies rapides, a rappelé la juge lors du résumé de sa décision.
La perte de conscience de l’individu peut s’expliquer par plusieurs facteurs, notamment l’essoufflement dû aux efforts lors de l’échange de coups avec le policier.
La preuve a également démontré que l’individu avait été retrouvé, lors d’une autre intervention, vers 8 h 30, soit trois heures avant son arrestation, couché devant sa demeure, dans son vomi. Selon un premier constat, il avait consommé des substances.
La perte de conscience n’a donc pas à être attribuée aux gestes posés par le policier, mais au contexte pris dans son ensemble, soit l’état préalable de l’individu et aux efforts qu’il a lui-même dû faire pour contrer et résister au policier lors de la deuxième intervention.
Un policier, pourvu qu’il agisse sur la foi de motifs raisonnables et probables et qu’il utilise seulement la force nécessaire dans les circonstances, ne devrait pas être jugé en regard d’une norme de perfection, a d’ailleurs rappelé l’honorable juge Julie Beauchesne.
La juge a rappelé qu’elle était d’accord avec l’expert Langlois : le policier doit s’adapter à la résistance de la personne avec qui il intervient. La juge a, contrairement à la plaidoirie de la poursuite, rappelé que le coup de poing a été donné dans une perte d’équilibre et non à la suite d’un élan. La poursuite a également fait abstraction des minutes qui ont été nécessaires pour procéder au menottage de l’individu, s’appuyant seulement sur quelques secondes filmées, a fait valoir la juge qui, en conclusion, a rappelé que les versions et les différents témoignages entendus lors du procès démontraient la nécessité de l’intervention et de la force utilisée et qu’elle n’était pas exagérée, mais appliquée dans les règles de ce qui est enseigné aux policiers, a ajouté la juge au terme du procès, prononçant l’acquittement de l’agent Danny Poliquin après un cours délibéré.
Depuis le début des activités et des enquêtes du Bureau des enquêtes indépendantes (BEI), il s’agit d’une première accusation portée contre un policier par le DPCP à la suite d’une enquête indépendante.
Le policier, en présence de son avocat et de membres de sa famille, a accueilli la décision du juge avec soulagement. Son avocat a rappelé que cette première mise en accusation d’un policier par le DPCP au terme d’une enquête du BEI avait été lourde de conséquences pour le policier, qui était persuadé d’avoir agi selon les enseignements des techniques policières et, dans la mesure, avec la force nécessaire lors de l’intervention.