Drummondville, au temps du chemin de fer… en bois, raconte-moi l’histoire par André Pelchat

Drummondville, au temps du chemin de fer… en bois, raconte-moi l’histoire par André Pelchat
Gare du Canadien Pacifique, Drummondville, vers 1900 @ Source Société d’histoire de Drummond, Collection régionale ; C1-9.4-35 / Droits acquités Vingt55

DRUMMONDVILLE

Dans les débuts de la colonisation de la région de Drummond, comme de celle des Bois-Francs, un des principaux problèmes est la quasi-absence de moyens de transports pour rejoindre les régions déjà peuplées, le long du Saint-Laurent.

La rivière St-François n’est pas navigable sur tout son cours et elle ne le sera pas avant les années 1880, quand des travaux de creusage seront entrepris sous l’égide du gouvernement fédéral. Des portages doivent avoir lieu, ce qui ralentit considérablement les déplacements, en particulier pour les marchandises. Il est donc très difficile pour les premiers agriculteurs de vendre leurs récoltes sur les marchés extérieurs.

Dès le début de la colonisation de la région de Drummond, en 1816, un chemin a été tracé reliant la nouvelle colonie à Sorel. D’autres suivront dans la région. Il s’agit de chemin utilisable l’été avec des voitures à chevaux et l’hiver avec des traîneaux. Néanmoins les quantités de marchandises ainsi transportées demeurent limitées, ce qui nuit au développement du commerce.

La première ligne de train à atteindre la région fut la ligne Montréal-Portland (Maine) qui passait par Richmond en 1853. De Richmond, une autre ligne rejoint Lévis en 1855.  Des gares sont construites à Kingsey Station, Frankland (Warwick), Arthabaska Station (Victoriaville), Somerset (Plessisville) Stanfold (Princeville), Lyster, etc. L’effet se fait vite sentir sur les régions desservies. On peut lire dans Le Défricheur, journal du député de Drummond-Arthabaska,  Jean-Baptiste-Éric Dorion, « L’ouverture du chemin de fer d’Arthabaska à Trois-Rivières a eu l’effet d’ouvrir un débouché en hiver, pour l’avoine des paroisses voisines de la ville. Il s’en fait un commerce assez considérable de ce produit (…) ». Dorion veut voir le chemin de fer rejoindre la région de Drummond et les milieux d’affaires prennent le relais en 1869, prônant un nouvel axe qui passerait par Drummondville. Parmi les principaux promoteurs du projet, on trouve Edouard-John Hemming et Louis-Adélard Senécal.

Hemming est né en Angleterre et, après une carrière de marin, est venu s’installer au Canada pour étudier le droit à l’Université McGill, à l’invitation de son cousin Christopher Dunkin, ancien député de Drummond-Arthabaska de 1857 à 1861. En 1858, Hemming déménage à Drummondville où il se fait fermier et s’implique rapidement en politique, du côté conservateur comme son cousin. Il sera d’ailleurs député à l’Assemblée législative du Québec de 1867 à 1871. Lui et Dorion sont politiquement aux antipodes l’un de l’autre mais partagent la conviction qu’un chemin de fer est nécessaire au développement de la région.

Senécal, pour sa part, est un des rares grands hommes d’affaire francophone de l’époque.  Né à Verchères en 1829 il est propriétaire de plusieurs compagnies de navigation sur le Saint-Laurent En 1866, il a acheté au baron de Longueuil une immense étendue de terres dans le canton d’Upton. La même année, il fonde la Compagnie des moulins à vapeur de Pierreville qui exploite des moulins à scie, à farine et à carder. Il est maintenant bien installé dans la région. Il se lie au parti libéral et achète le journal L’Avenir après la mort de Dorion. Il le vendra peu après à un jeune avocat prometteur, Wilfrid Laurier. Après la Confédération, il sera un temps député libéral à la fois ans Drummond-Arthabaska au fédéral et dans Yamaska au provincial. C’était légal à l’époque.

Ensemble, ces deux hommes finiront par obtenir les appuis nécessaires et à réunir les fonds pour entreprendre la construction d’une ligne Sorel-L’Avenir via Yamaska, Saint-David, Saint-Guillaume, et Drummondville, qui sera terminée en 1871.

La région est enfin reliée au réseau de chemin de fer. Façon de parler. Car ce chemin de fer est… en bois.

En effet, une idée populaire dans les années 1860 voulait qu’il soit plus avantageux, à la place des rails métallique, de faire rouler les trains sur des lisses en bois d’érable de 4,5 m de long. Celles-ci reposaient sur des traverses plus épaisses et plus larges dans lesquelles on a creusé deux entailles pour incruster les lisses. On croyait que, vu l’abondance du bois dans la province, cette technologie reviendrait moins cher. Les premiers essais paraissent positifs. Un journaliste écrira :  «Nous pouvons dire que ce système de lisses en bois nous a paru fonctionner admirablement. Nous avons parcouru quelques milles à raison de 30 milles à l’heure. […] Le roulage y est bien plus doux que sur des charrières en fer, il n’y a presque point de secousses et que peu de bruit». Cependant, on découvrira vite les inconvénients du bois pour faire rouler les trains : d’abord les lisses ne peuvent être ni pliées ni courbées car elles risqueraient de se rompre et on doit donc éviter au maximum les montées, les descentes et les virages de la voie.  On découvrira par la suite qu’elles s’usent vite et qu’elles peuvent se tordre ou s’écraser. De plus, quand il pleut, ou même qu’il y a de la rosée, le bois détrempé devient glissant et le train… fait du surplace ! Selon un témoin, pour repartir, il fallait alors «faire vapeur arrière, reculer un bout, puis lancer le char, en avant, à toute vitesse, pour pouvoir avancer un nouveau bout, et recommencer cette manœuvre indéfiniment ».

Dès 1872, Hemming et Senécal vendent leur compagnie, la Richelieu. Drummond et Arthabaska » à une compagnie des Cantons de l’Est, la South Eastern Railway qui remplace les lisses de bois par des rails, opération terminée en 1875. La région de Drummond est alors enfin entrée dans l’ère du chemin de fer.

Gare Drummondville 2022 © Crédit photo Eric Beaupré / Vingt55. Tous droits réservés.

André Pelchat
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